Les conversions de François
«Nous devrions
avoir honte, nous, les serviteurs de Dieu. Car les saints ont agi : nous, nous
racontons ce qu’ils ont fait, dans le but d’en retirer pour nous
honneur et gloire. »
En lisant cette admonition 6 de François dans sa traduction française,
nous pourrions être surpris. Alors que François invite à
agir et ne pas raconter ce que les saints ont fait, il se trouve paradoxalement
être l’un de ceux qui sont les plus racontés en Occident.
Rien qu’une dizaine de biographies sur lui au 13 ème siècle,
biographies qui s’amplifient à la fin du Moyen Age sous la forme
littéraire dite de « compilations ».
Or entre cette admonition de François et la profusion des biographies,
le paradoxe n’est en fait qu’apparant. Car les biographies doivent
leur succès aux secrets de leur narration qui en réalité
sert le dessein de François. Par l’intrigue qu’elles mettent
en œuvre dans leur manière de raconter la vie du Saint, elles suscitent
une « écoute» qui pousse à la conversion, à
la créativité.
Elles sont donc fondatrices d’existence. Elles invitent chacun à
s’inscrire dans le contingent de la vie, et non à engranger des
vérités toutes faites et immuables.. Ce sont bien des «
legenda », de « ce qui est à lire », au sens de textes
à recevoir existentiellement et à transmettre au niveau d’un
vécu.
Chaque « legenda » a sa façon particulière d’émouvoir,
Celano n’est pas Bonaventure ni le frère Léon. Elle raconte
chacune à leur façon des évènements de la vie de
François, évènements de rupture avec ce qui est conventionnel
: une vie tranquille, sans « histoire » ; évènements
portés par lla grâce où du nouveau se fait jour. Toutes
les legenda font entrer dans de l’histoire.
A travers la vie de François que moi lecteur, je peux appréhender
dans la multiplicité des récits hagiographiques qui me sont proposés,
c’est ma propre vie, ma propre vocation que je suis amené à
découvrir, à recevoir de Dieu. Dans toute sa singularité.
Dans toute sa richesse. Je suis appelé à réaliser alors
à la suite du Poverello que le Christ m’invite personnellement
et constamment à le suivre dans une aventure, une nouveauté qui
advient. « Aujourd’hui ». « Maintenant ». Pour
en témoigner aux autres.
Les legenda sont faites pour provoquer.
Elles sont un message fort pour tous et pour toutes époques. Par leur
nombre et leur variété, elles démultiplient nos approches
du Saint et ouvrent une multitude de chemins de vie qui invitent aux choix.
Avec une constante « livrée ». François a vocation
à être « exemple » universel. Exemple unique comme
chacun est unique. Exemple qui se forge dans la confrontation au modèle.
Librement et de façon singulière. Exemple qu’il veut nous
donner. « Je te donnerai ce conseil : quelle que soit la manière
qui te semblera la meilleure de plaire au Seigneur Dieu et de suivre ses traces
et sa pauvreté, adopte-la, avec la bénédiction du Seigneur
Dieu et ma permission » (Lettre de François à Fr Léon).
Etonnant exemple que la vocation de François ! Elle s’inscrit dans
la durée = 20 ans de conversions continuelles. On est loin du retournement
brusque de St Paul sur la route de Damas.
Elle est dès le début le choix d’un homme mûr. Il
quitte sa famille, le monde et ses facilités à l’âge
de 26 ans, après avoir travaillé à Assise à la boutique
de son père marchand de tissus. Il lui a fallu pour être définitivement
« retourné». un temps de maturation entre 4 à 6 ans,
marqué par une recherche constante de Dieu, des tâtonnements successifs
et des expériences décisives (rencontre des lépreux, vision
du Christ à Saint-Damien, puis découverte de sa vocation apostolique
à la Portioncule).
Ces évènements en appelant d’autres, il vaut mieux parler
pour le Poverello d’une vie entière de conversions où se
succèdent une suite d’évènements qui continuellement
orientent, accompagnent et approfondissent ses choix de vie. Rappelons dans
cet approfondissement l’appel récurrent à aller en Terre
d’Islam (plusieurs fois il échoue mais finalement il réussit
à aller en Egypte), et un amour fidèle de l’Eglise et de
l’eucharistie.
Dans ce qu’il fait, l’important pour François est de toujours
« désirer avoir l’esprit du Seigneur et le laisser agir »
pour mieux aimer (Règle bullée). C’est sa façon de
vivre l’évangile. Sa conversion à l’Esprit du Christ
saisisant le tout de son être, l’enracine vraiment dans la vie concrète
des gens de son temps. En témoignent sa vie de pauvreté radicale,
puis longtemps après en sa chair, les stigmates.
Histoire. Exemple. Singularité. Radicalité. Fidélité.
Esprit. Le charisme que François nous livre de sa vie est un charisme
personnel de conversion qu’il veut nous faire partager. C’est ce
qui en fait sa spécificité. Avant de trépasser, il confie
à ses frères : « J’ai accompli ma tâche : que
le Christ vous apprenne à accomplir la vôtre » (Legenda major
14, 3).
Fr Serge Delsaut ofm