Petite méditation sur la rencontre de François et du Sultan
Automne 1219, François, accompagné du frère Illuminé, quitte le camp des croisés en direction des lignes musulmanes. Leur cortège devait paraître si étrange que les deux frères sont rapidement enfermés dans les geôles du sultan… jusqu'à ce qu'on finisse par leur permettre de rencontrer le monarque. Improbable rencontre entre le petit pauvre et l'élite de l'intelligentsia musulmane de l'époque. Cherchant le martyre comme couronnement de sa vie de serviteur du Christ et de témoin de sa Bonne Nouvelle, François tente de convertir Malik el-Kamil. Il lui propose même, dit-on, de remettre la question de leurs religions au jugement de Dieu. Il entrera dans le feu avec un théologien musulman, le Seigneur saura bien alors protéger celui qu'Il aime et prouvera ainsi la supériorité de son chemin. Le sultan refuse pourtant et il écoute le petit homme tout empli de l'Evangile. Il le garde même à ses côtés pendant quelques temps, avant de le laisser repartir. François quitte donc cette cour et son monarque sur un échec. Il ne reparlera jamais de cette entrevue par la suite. Toutefois, dans la première version de la règle qu’il rédige à l’attention des frères, il ose l’inimaginable en ce siècle de croisades : il invite ses frères qui vont parmi les infidèles (et qui ne se sentent pas appelés à une annonce explicite du Christ) à "être soumis à toute créature à cause de Dieu et à simplement confesser qu'ils sont chrétiens." (Rnb 16, 6) Mais qu’est-ce-qui a pu le conduire à proposer un tel chemin d’humilité dans la rencontre ?
Ð François s’est
senti appelé à traverser la mer pour rencontrer le sultan, ce
dialogue lui apparaissait comme une nécessité. Est-ce pour moi
aujourd'hui un besoin, une soif, un impératif comme chrétien d'aller
vers l'autre croyant, vers l'étranger, vers celui qui m'est autre au
sens le plus fort ?
Ð François a fait ce choix d'aller vers l'autre. Que ses raisons
profondes aient été bonnes ou mauvaises, cela nous importe peu
! Il a pris la route… Il a pris le risque de la rencontre de l'autre sur
son propre terrain... Et moi aujourd’hui à sa suite, suis-je prêt
à me départir de certaines de ces sécurités que
me confère mon origine pour aller vers l'étranger là où
il vit ? Suis-je prêt, comme le disait le frère Jean-Mohammed Abd
el-Jalil "à faire le chemin pour deux", ma part de chemin et
celle de mon frère musulman ?
Ð Dans la rencontre, François a ensuite accepté de se laisser
déplacer : il n’a pas converti le sultan, il n’a pas non
plus trouvé le martyre. Nul ne sait où mène la rencontre,
c'est la raison pour laquelle elle requiert un profond ancrage préalable
dans la foi et demande à être vécue dans un regard de foi.
Suis-je prêt aujourd’hui à m’abandonner dans une démarche
toute gratuite dont je ne saurais ni demander, ni même imaginer les fruits
?
Ð Devant cette situation qui évolue, François commence sans
doute alors à ouvrir les yeux sur cet homme qui l'écoute et qui
lui épargne la mort… Comme dans le lépreux et dans le brigand,
il découvre un enfant de Dieu, une créature voulue de toute éternité
par le Très Haut et –comment ne pas y croire - habitée par
la Trinité. Peut-être même discerne-t-il en lui un croyant,
un homme qui cherche son chemin vers l'Eternel à travers les voies de
l'Islam… un frère qui a pour lui une parole de la part de Dieu.
A partir de là, tout n'est plus que conjectures, car tout se joue, comme
à la Visitation, dans le cœur à cœur de la relation.
François ressort transformé, mais nous ne saurions toucher à
ce qu'il lui a été donné de vivre sans nous-mêmes
expérimenter la rencontre de l'autre croyant. C’est à ce
mouvement que nous sommes invités cette année dans le souffle
de l’Esprit d’Assise.
Fr. Stéphane