Marchons dans la joie et pensons à notre sauveur.
par fr Carlos Alfonso Aspiroz Costa
Mes chers frères et sœurs en saint Dominique,
C’est un peu tremblant que je vous écris. Tout d’abord, pour prendre courage, une confidence. Récemment j’ai relu et médité les messages que les quatre derniers Maîtres ont adressés à l’Ordre. Quatre, pour ne citer que ceux que la Providence a mis au service de la Famille dominicaine depuis l’époque du Concile Vatican II jusqu’à 2001. Je ne peux que m’exclamer : quelle richesse ! quelle profondeur dans la parole de ceux qui nous ont prêché avec tant de générosité et de dévouement ! Face à pareils écrits -voici la confidence fraternelle-, qu’il est difficile d’écrire une lettre à l’Ordre ! Il semble que tout ait déjà été dit ! Que pourrais-je bien dire de neuf à mes frères et sœurs en saint Dominique ? En même temps, je constate avec tristesse que dans bien des communautés -je parle plus particulièrement des frères-, c’est à peine si l’on connaît les Actes des derniers Chapitres généraux, alors que ces textes sont de véritables programmes de vie dominicaine pour notre temps ! Enfin, comme cela arrive à beaucoup, et pas seulement dans l’Ordre, j’ai le sentiment de me trouver devant une « inflation » de documents, de textes, de messages, de lettres touchant aux thèmes les plus variés (mais qu’on n’a jamais le temps de lire avec profit avant l’arrivée du suivant).
DIFFERENTES EXPERIENCES DES SIX DERNIERES ANNEES
1. Voici quelque temps, un frère provincial s’entretenait avec moi de manière informelle sur la situation de sa Province. Pensant à haute voix, il se plaignait, non sans un certain découragement : « dans ma Province, je ne peux faire aucune assignation ». Ces mots m’ont beaucoup impressionné. J’y pense constamment, et à ce qu’ils impliquent.
Ces dernières années, ce n’est un secret pour personne, j’ai vécu deux expériences fort différentes. La tâche de Procurateur général, poste « sédentaire » comme il y en a peu, m’a pourtant mis au contact de maintes situations délicates pour la vie dominicaine et religieuse de nombreux frères et sœurs. À présent, dans l’exercice d’un ministère bien plus « nomade », en visitant les communautés des différents pays, je découvre sous un autre angle la « symphonie polychromatique » de l’Ordre dans l’Église et dans le monde. Les deux perspectives m’ont néanmoins conduit à une même intuition. Elles m’ont fait découvrir qu’il y a vraiment quelque chose qui « bloque », menaçant les racines de notre vocation et de notre mission dans l’Église et dans le monde : une certaine immobilité. L’inertie provoque une sorte de paralysie (« on s’installe »), qui finit par blesser à mort les énergies les plus généreuses de notre existence et de notre vie de fils et de filles de saint Dominique.
2. Une des caractéristiques que Dominique de Caleruega incarna à l’image des apôtres, et que nous avons héritée en tant que ses disciples, est l’itinérance évangélique. Pour le dire en image, par la grâce de Dieu, il a fait éclater les frontières d’un schéma « géographique » qui basait essentiellement le fonctionnement et la vie de l’Église sur l’organisation diocésaine d’une part, et -pour ce qui est de la vie religieuse- sur la structure de la vie monastique et des chanoines réguliers d’autre part. L’histoire de l’Église missionnaire ne commence certes pas avec l’Ordre des Prêcheurs : combien de moines missionnaires, par exemple, ont évangélisé combien de régions d’Europe ! Mais Dominique voulut fonder, in medio Ecclesiæ, un Ordre qui serait fait et appelé de prêcheurs.
« EN CE TEMPS-LA... » - SE METTRE EN CHEMIN CHANGE LA VIE !
3. Enfants, nous nous délections à l’écoute et la lecture d’histoires réelles ou imaginaires. Beaucoup commençaient par le traditionnel « Il était une fois ». Toutes proportions gardées, lorsqu’on proclame l’Évangile, suivant Jésus sur son Chemin, on commence généralement la lecture par « En ce temps-là »...
Avec la fraîcheur du disciple, comme pour nous ramener à l’amour des origines, le fr. Jourdain écrit dans son Libellus :
« Il arriva donc en ce temps que le roi Alphonse de Castille conçut le désir de marier son fils Ferdinand à une fille noble des Marches. Il vint trouver l’évêque d’Osma et lui demanda d’être son procureur en cette affaire. L’évêque acquiesça aux prières du roi. Et bientôt, (...) prenant également avec lui l’homme de Dieu Dominique, sous-prieur de son Église, il prit la route et parvint à Toulouse. »
4. Dans son « Histoire de saint Dominique », recoupant divers points historiques, Marie-Humbert Vicaire rapporte que cette invitation d’Alphonse VIII à l’évêque d’Osma fut lancée à la mi-mai 1203. Le célèbre biographe français conclut à la suite de Jourdain : « L’évêque ne tarda pas à se mettre en route, emmenant avec lui Dominique. C’était vers le milieu d’octobre 1203 » . Il y a de cela 800 ans !
Ce n’est ni l’heure ni l’endroit d’entrer dans les détails, ou de nous étendre en une analyse historique et chronologique exhaustive. Mais ce que nous savons avec certitude, c’est que ce voyage allait changer pour toujours la vie des deux amis. En effet, à peine eurent-ils passé les Pyrénées que les deux hommes de Dieu purent constater de leurs yeux un fait qu’ils ne connaissaient jusque là que par ouï-dire : le défi du dualisme d’origine manichéenne, profondément enraciné dans cette région parmi différents groupes et sectes. Comme exemple éloquent de l’impact qu’eut cette nouvelle réalité sur nos deux voyageurs, Jourdain raconte le célèbre épisode de l’hôte :
« Au cours de la nuit même où ils logèrent dans la cité, le sous-prieur attaqua avec force et chaleur l’hôte hérétique de la maison, multipliant les discussions et les arguments propres à le persuader. L’hérétique ne pouvait résister à la sagesse et à l’esprit qui s’exprimaient : par l’intervention de l’Esprit divin, Dominique le réduisit à la foi. »
La « mission matrimoniale », on le sait, allait exiger un autre voyage avant de finir tristement. Un échec ? Mais rempli d’une vie nouvelle ! Voici comment le raconte Jourdain de Saxe :
« Dieu disposait ainsi des causes du voyage dans ses vues salutaires, préludant à l’occasion de cette course à des noces autrement précieuses entre Dieu et les âmes, qu’il entendait ramener de par toute l’Église, et de beaucoup d’erreurs et de péchés, aux épousailles du salut éternel. L’événement le prouva dans la suite. »
5. Une mission diplomatique au nom du Roi -changement de programme imprévu dans la vie de Diego et de Dominique- est l’occasion qui apporte en fin de compte une teinte différente à leur histoire, illuminée par la lumière rénovatrice de la grâce. Un évêque et le sous-prieur d’un chapitre de cathédrale étaient appelés à croître et à donner des fruits entre les murs du petit jardin d’Osma, et les voici devant un panorama ecclésial et historique totalement différent. Certes, ils connaissaient les conséquences des hérésies au-delà des Pyrénées, mais seulement par ouï-dire. C’est une situation analogue à celle de Job le Juste qui, à la fin de sa difficile expérience de la vie, s’exclame dans un dialogue ouvert avec Dieu : « Je ne te connaissais que par ouï-dire, mais maintenant mes yeux t’ont vu » .
En effet, Dieu appelait Diego et Dominique à commencer en terre étrangère une nouvelle évangélisation, qui s’étendrait avec le temps à des horizons universels. Marcher loin des repères connus leur ouvrit les yeux de l’âme. Ils ne furent plus jamais les mêmes. Les deux voyages diplomatiques (1203 et 1205) eurent des conséquences « vocationnelles » pour l’un comme pour l’autre -mais ce n’est pas la vocation diplomatique qu’ils découvrirent !
Diego d’Osma demanderait (en 1206 ?) au pape Innocent III de lui faire la grâce d’accepter sa démission de l’épiscopat : il chérissait le projet de consacrer toutes ses forces à la conversion des Cumans, peuple païen de l’Est de la Hongrie. Le pape, on le sait, refusa sa démission. Plus tard, l’évêque prit l’habit de Cîteaux ; il conseilla les légats du pape concernant la prédication de la foi contre les Albigeois ; il s’engagea sérieusement dans cette mission itinérante pendant deux ans ; puis il décida de rentrer au siège d’Osma ; quelques jours plus tard il tomba malade et mourut fin 1207.
Nous connaissons plus en détails la vie de Dominique. Depuis le voyage dans les Marches jusqu’à sa mort, il mènera la vie d’un apôtre itinérant. À partir de ce huitième centenaire du premier voyage missionnaire de Dominique, pourquoi ne pas commencer à célébrer joyeusement d’autres ‘octo-centenaires’ d’une beauté et d’une importance extraordinaires pour toute la Famille dominicaine, parmi laquelle on compte la fondation de Prouilhe, toujours considérée comme la première communauté de l’Ordre !
L’ITINERANCE DANS LE CŒUR ET L’ESPRIT DE TOUS LES DOMINICAINS
6. Le fr. Paul de Venise, un des témoins au procès de canonisation de saint Dominique, raconte que « Maître Dominique » lui disait, ainsi qu’aux autres qui le suivaient : « Marchez, pensons à notre Sauveur ». Il témoigne aussi : « Où qu’il se trouvât, Dominique parlait toujours de Dieu ou avec Dieu » ; et il reconnaît : « Jamais je ne le vis irrité, agité ou troublé, ni par la fatigue du voyage, ni par nulle autre cause. Il était au contraire toujours joyeux dans les tribulations et patient dans les adversités ».
7. Alors, une lettre à l’Ordre sur l’itinérance ? Ce que vous avez entre les mains, le texte que vous lirez et -je l’espère- méditerez en votre cœur, individuellement et en communauté, est le fruit d’une réflexion au sein du Conseil généralice. Lorsque j’ai commencé à penser au thème de l’itinérance dans la vie dominicaine, nous avons préparé une réunion du Conseil généralice au complet. J’y invitai aussi le fr. Manuel Merten, Promoteur général pour les moniales. Chaque frère avait préparé un bref exposé sur les divers aspects de l’itinérance dans notre « sequela Dominici » : itinérance et vie spirituelle ; itinérance, cheminement intellectuel et formation ; itinérance et chacun des vœux religieux ; itinérance et vie commune ; itinérance et vie contemplative ; itinérance et gouvernement dominicain ; itinérance et inculturation ; itinérance et phénomène de la mobilité humaine ; itinérance et mission ; etc. Lors d’une rencontre de trois jours hors de Rome, chacun a présenté son thème et nous avons tous discuté ces aspects et d’autres de notre itinérance dominicaine.
Je l’avoue, la qualité des réflexions fut telle que, à la fin, je ne me sentais plus capable d’écrire sur la question une lettre qui pût embrasser tant de richesses : l’éventail des thèmes à traiter était tellement large ! Mais d’un autre côté, il n’était pas possible non plus de publier tels quels les 15 textes préparés -loin de nous la prétention de publier une « encyclopédie » ou un « dictionnaire » sur le sujet !
Dans un second temps, nous avons tenté de méditer sur quelques thèmes centraux, autour desquels s’en articulent d’autres, également étudiés ensemble. Pour cela j’ai prié quatre frères de présenter une synthèse élaborée à partir de ce que nous avions échangé en communauté. Ce que je vous présente aujourd’hui est donc le résultat de notre travail. Le fr. Roger Houngbedji (du Vicariat d’Afrique de l’Ouest, Province de France, Socius pour l’Afrique) écrit sur l’itinérance dans la Bible. Le fr. Manuel Merten (Province de Teutonie, Promoteur général pour les moniales) nous offre sa réflexion sur l’itinérance et la vie contemplative. Le fr. Wojciech Giertych (Province de Pologne, Socius pour la vie intellectuelle) traite de l’itinérance dans le cheminement intellectuel et la formation. Enfin, le fr. Chrys McVey (Vice-province du Pakistan, Socius pour la vie apostolique et Promoteur général de la Famille dominicaine) nous prêche sur l’itinérance et la mission.
Le mot iter - itineris (du grec hodos) signifie « chemin, voyage, marche, trajet » : mettons-nous en route et parcourons ensemble ce paysage intérieur dominicain !
I - L’ITINERANCE DANS LA BIBLE
8. L’itinérance apparaît comme un thème dominant dans la Bible. Le peuple de la Bible se définit principalement en effet comme un peuple en pérégrination. Le mot « hébreu », par lequel il est désigné vient de « ibrî » (dérivé de « èber » qui veut dire « l’autre côté » d’une limite) et évoque l’idée d’émigration. Le peuple hébreu est donc un peuple foncièrement en migration, un peuple nomade. C’est dans cette optique que les grands croyants de l’Ancien Testament (notamment les Patriarches) vont se considérer comme des « étrangers » (xénoi), du fait qu’ils n’ont pu obtenir (mais ont vu seulement de loin) l’objet des promesses que Yahvé leur a faites (cf. Gn 23, 4 ; Ex 2, 22 ; 1 Ch 29, 15 ; Ps 39, 13 ; Lv 25, 23). Toute l’histoire du Peuple d’Israël sera donc comprise comme une longue marche vers l’accomplissement des promesses de Dieu en son Fils Jésus.
La communauté chrétienne (le nouveau Peuple de Dieu) sera elle aussi appelée « la Voie » (cf. Ac 9, 2 ; 18, 25 ; 19, 9.23, 22, 4 ; 24, 14.22), ce qui souligne bien l’idée de marche ou d’itinérance. Dans cette perspective, l’auteur de l’épître aux Hébreux présentera la communauté chrétienne comme une communauté de pèlerins sur la terre (He 11, 13), en marche vers la cité future solidement bâtie (He 13, 14). Les chrétiens vivent donc ici-bas comme des « déracinés » mais « enracinés » là-haut, la cité céleste : le but ultime de leur marche. Saint Pierre dans son épître (1 P 1, 17) montrera que du moment où les chrétiens n’appartiennent qu’à Dieu, ils doivent considérer leur passage sur terre comme un séjour transitoire, sans aucune attache avec ce bas-monde. Le terme technique utilisé par le Nouveau Testament pour exprimer cette situation passagère du chrétien dans ce monde est parepidêmos qui désigne l’étranger non établi, le voyageur, et s’oppose à l’étranger résidant en permanence.
Il apparaît donc que dans la mentalité biblique, toute la vie du croyant, son rapport à Dieu est polarisé par l’idée de la marche, du chemin, de l’itinérance. La question est de savoir en quoi consiste cette itinérance ou qu’est-ce qui la caractérise ? Une vue d’ensemble permet de dégager trois grands traits caractéristiques de l’itinérance biblique.
ITINERANCE COMME EXODE
Déplacement spatial
9. Le chemin de Dieu (hodos) se définit ici comme un départ, une sortie, un exode. Le croyant est appelé à s’arracher à un lieu déterminé, à rompre avec son attachement à un monde physique ou géographique pour se mettre en route et partir ailleurs. L’itinérance est prise ici dans son acception géographique, physique. C’est dans ce sens qu’on peut comprendre l’itinérance d’Abraham qui doit partir de sa terre pour s’aventurer dans un pays étranger (Gn 12, 1-9). La Parole de Dieu qui lui est adressée amène le patriarche à opérer une rupture totale avec sa patrie et toutes les attaches humaines pour se lancer sur une route où seule la foi est déterminante. La foi du patriarche consiste précisément en une réponse inconditionnelle qui l’amène à s’engager sur un chemin dont Dieu seul connaît l’issue. Il en est de même pour le prophète Élie qui se mettra en route jusqu’à l’Horeb où Dieu, à travers une brise légère, va se révéler à lui (1 R 19, 4-8). L’itinérance exige donc ici un saut dans l’inconnu qui est le lieu de la foi.
Par ailleurs, le peuple élu dans son ensemble est aussi marqué par l’expérience de l’Exode hors d’Égypte, une expérience qui va déterminer toute sa vie. Guidé par Dieu et par Moïse, le peuple est appelé à s’engager sur une voie longue et difficile où à travers mille épreuves il parviendra à connaître son Dieu et à faire son entrée dans la terre promise. À cause de ses nombreux péchés, le peuple sera de nouveau exilé en Babylone où il va douloureusement faire l’expérience de sa condition de « pérégrinant » en se considérant comme un groupe de réfugiés ou d’exilés en territoire étranger (cf. Ps 137). À sa libération, il sera de nouveau appelé à se lancer dans un nouvel exode, signe de la libération qu’accomplira le ‘Serviteur de Yahvé’ dont la mission consiste à faire sortir de l’esclavage plus profond constitué par le péché (Is 42, 1-9 ; 53, 5-12).
Dans le Nouveau Testament Jésus sera présenté aussi comme un grand itinérant. Dans les évangiles il apparaît en effet comme un grand voyageur, toujours en chemin (cf. Lc 9, 57 ; 13, 33 ; Mc 6, 6b), passant de la Samarie en Galilée ou faisant route vers Jérusalem (Lc 9, 51). Lui-même se présente comme le Fils de l’homme n’ayant pas d’endroit où reposer sa tête (Lc 9, 58). Il enverra aussi ses disciples sur la route (Lc 10, 1-9 ; Mt 10, 5-15) et indiquera la condition du disciple comme un engagement à sa suite (Lc 9, 59-62 ; Mc 2, 13-14 ; Jn 1, 43). Toute la mission des apôtres après la mort de Jésus s’effectuera dans la perspective d’une grande itinérance (cf. Ac 16, 1-10 ; 2 Co 11, 23-28).
Il en ressort que l’itinérance dans la Bible est d’abord et avant tout géographique/spatial dans le sens de passage d’un lieu à l’autre - le mot passage signifiant aussi la Pâques, l’Exode (Jésus accomplit sa Pâques en passant de ce monde à son Père : Jn 13, 1). Il est à remarquer que le déplacement spatial vise toujours une mission.
Déplacement spatial en vue d’une mission
10. Dans la perspective biblique, les déplacements qui sont faits dans le cadre d’un commandement ou d’une obéissance visent le plus souvent une mission : un message à donner, une action à faire. C’est le cas de Moïse par exemple dont la rencontre avec Yahvé (Ex 3, 1-6) sera le début de sa mission : alors qu’antérieurement, par peur de la police, Moïse a dû fuir l’Égypte (2, 15), à la demande de Dieu, il y retourne pour libérer le peuple. Au cours de cette mission il recevra fréquemment des demandes de la part de Yahvé pour rencontrer Pharaon et emmener le peuple au désert, pour recevoir la Loi et la donner au peuple. En fait, tout le livre de l’Exode se présente comme une itinérance vécue comme obéissance à Dieu.
Il en est de même dans les livres prophétiques. Le prophète est en effet pris par Dieu dans la situation qui est la sienne pour remplir une mission. Le plus souvent cette mission l’amène à se confronter au roi ou aux autorités religieuses, à risquer sa propre vie. C’est dire que l’obéissance demandée suppose non seulement un déplacement mais aussi un risque à prendre. La mission n’est pas sans danger, comme Élie, type du prophète, en fait l’expérience : il doit fuir son pays pour assurer le succès futur de sa mission (1 R 17, 3.9), revenir affronter Achab pour lui donner le message dicté par Dieu (1 R 18, 1 ; 21, 18-19) et abandonner le lieu de la rencontre avec Dieu pour continuer sa mission (1 R 19, 15-16). On a comme un résumé de ce schéma lorsque le prophète demande à un simple croyant d’être son intermédiaire : le commandement ordonne un déplacement en vue d’un message à donner, mais il y a un risque et donc raison d’avoir peur (1 R 18, 7-16).
Dans le Nouveau Testament, le commandement qui exige un déplacement est toujours associé à la prédication du Royaume, du temps de Jésus (cf. Lc 9, 2) ou à la mission après sa résurrection (Mt 28, 19-20). Les conditions en sont précisées : il s’agit de voyager sans bagages encombrants et sans moyens particuliers. Notons qu’il peut y avoir des échecs à l’appel, par refus de l’itinérance (Mt 19, 16-22 ; Lc 18, 18-23 ; Mc 10, 17-22).
ITINERANCE COMME CONVERSION
11. À l’itinérance géographique/spatiale est liée l’itinérance spirituelle qui apparaît comme le lieu d’une conversion, entendue comme metanoia (changement radical d’esprit, de mentalité). En effet, dans la Bible, l’itinérance géographique s’accompagne toujours de l’itinérance spirituelle : le détachement d’un lieu à un autre est en vue du détachement de soi-même pour n’appartenir qu’à Dieu. Le terme biblique utilisé pour manifester ce lien entre les deux types d’itinérance est « dérék » (chemin), dérivé de « darak » (marcher), qui désigne le chemin spirituel à entreprendre pour correspondre à la volonté et au plan de Dieu. Dans la mentalité d’Israël, l’homme, du fait de ses péchés et de son refus de réaliser les desseins de Dieu, doit en effet conformer son mode d’existence, ses faits et gestes, à la volonté divine (Mi 6, 8 ; Is 30, 21, Os 14, 10, Ps 119, 1). C’est la condition pour lui de parvenir à la vraie vie (Pr 2, 19 ; 5, 6 ; 6, 23 ; Dt 30, 15 ; Jr 21, 8). La conversion consiste en tout le processus spirituel (l’itinérance spirituelle) à entreprendre pour correspondre à la volonté de Dieu. C’est dans cette perspective qu’on peut comprendre tout le changement qui s’opère dans la vie du prophète qui reçoit une mission spécifique de Dieu. L’appel de Dieu le saisit et affecte profondément son statut social, son mode de vie en même temps qu’il lui demande de remplir une mission qui entraîne un déplacement, une itinérance (cf. Os 1, 2 ; Jon 1, 2 ; 3, 2). Le déplacement ici n’est pas seulement spatial mais aussi symbolique dans la mesure où il touche à la fois la vie du prophète et celle du peuple, dans son rapport à la Loi.
Cette même idée est reprise dans le Nouveau Testament à travers le terme « hodos » qui désigne la voie (Ac 18, 26) que les disciples doivent entreprendre pour parvenir à la vie (Mt 7, 13-14). C’est dans cette perspective que s’inscrivent les conditions posées par Jésus pour entrer dans le Royaume (Mc 1, 15) et celles qui sont exigées des disciples qui veulent s’engager à sa suite (Mc 8, 34-35). Suivre le Christ ici conduit le disciple à un renoncement radical à soi-même et à toutes ses tendances égoïstes afin de faire dépendre sa vie uniquement de lui seul. La suite du Christ (l’itinérance géographique) est ainsi conditionnée par le renoncement radical, comme lieu de conversion (itinérance spirituelle). L’itinérance spirituelle se présente ici comme le lieu d’une identification au Christ.
ITINERANCE COMME IDENTIFICATION AU CHRIST
Le Christ comme chemin
12. La grande innovation du Nouveau Testament est l’identification du chemin avec le Christ : le Christ lui-même se présente comme la voie vivante qui mène au ciel et donne accès au Père (Jn 14, 6). Cette identification du Christ au chemin montre que la route à entreprendre (qu’elle soit physique ou spirituelle) n’est pas un ensemble de lois ou d’attitudes mais la Personne du Christ, la seule voie à laquelle le disciple doit s’identifier pour avoir accès à Dieu le Père. Toute la démarche du chrétien (son itinérance) va donc consister à s’identifier au Christ par sa vie de foi. Croire au Christ consiste donc à aller et à s’unir à lui (s’engager existentiellement vis-à-vis de lui), de façon à s’approprier ses dons et richesses, condition pour atteindre Dieu.
L’identification au Christ (le chemin menant au Père) se présente ici comme ce qui donne au chrétien la consistance, la stabilité lui permettant de poursuivre la route malgré les difficultés et les épreuves du chemin. Autrement dit, s’identifier au Christ - lieu d’une vie de foi et d’enracinement en sa Personne - c’est ce qui donne au disciple l’élan pour une vraie itinérance. Il n’y a donc pas de vraie itinérance sans la recherche d’une certaine fixité ou stabilité en Christ.
Obéissance et itinérance dans l’Ordre
13. La question d’identification au Christ -lieu d’une conformité à sa volonté et de l’obéissance- a un lien très fort avec l’itinérance dans l’Ordre. En effet, dans la tradition dominicaine l’itinérance du fait de l’obéissance est l’origine même de l’Ordre ou plutôt de son développement spectaculaire hors de la région toulousaine. Saint Dominique disperse les frères deux par deux (Libellus 47), probablement en pensant à l’action identique de Jésus envoyant ses disciples deux par deux. Il s’agit d’une obéissance qui exclut la discussion (cf. Déposition du fr. Jean d’Espagne, Déposition de Bologne, 26) et qui est maintenue malgré l’opposition des frères et des autorités civiles et religieuses amies de saint Dominique. Les fruits seront le développement magnifique de l’Ordre. Là encore il s’agit d’une dispersion en vue d’une mission, celle de la prédication et de la propagation de la vie apostolique selon le modèle imaginé et voulu par saint Dominique. Les dépositions au procès de canonisation de Maître Dominique montrent que les frères voyageaient beaucoup d’un lieu à l’autre en fonction des besoins. Un exemple de cette mobilité est l’assignation du Bx Reginald à Paris alors qu’il faisait merveille à Bologne (Libellus 61-62).
L’obéissance religieuse n’est pas un but en soi. Elle est au service de la mission de l’Ordre, telle qu’elle est définie par les Chapitres généraux et provinciaux, et elle assure à l’Ordre la liberté nécessaire à son action (Bologne 33). Elle est un moyen pour que les frères, comme corps constitué, répondent aux exigences du bien commun à atteindre ensemble puisqu’il a été discerné ensemble. L’obéissance n’est donc pas l’expression du caprice du supérieur ou du Chapitre, mais l’expression personnalisée de l’effort qui est demandé à tous en vue de la mission ou du bien de l’Ordre dans des circonstances particulières. Comme celles-ci sont par nature changeantes, il convient que les frères acceptent de changer aussi afin de répondre au mieux à la mission. La mobilité intellectuelle, apostolique des charges, des lieux, est donc la conséquence de la mission évaluée et voulue en commun. Tant l’immobilisme que l’excessive mobilité sont des évasions par rapport à la mission. L’obéissance est un moyen pour réguler la mobilité en vue de la mission, de provoquer l’itinérance afin de répondre aux nécessités imposées par les circonstances ou voulues par un Chapitre. Évidemment, pour rejoindre ce que la Bible nous enseigne, l’itinérance voulue et acceptée dans le cadre de l’obéissance religieuse suppose la foi, d’une part en la capacité de l’institution à discerner le bien commun et, d’autre part, en Dieu, puisque c’est son Évangile qui est à l’origine de notre présence dans l’Ordre et la mission confiée par l’Église que nous servons du mieux possible. En ce sens, pour nous, l’obéissance religieuse et l’itinérance qui peut en résulter sont intimement liées à notre vie religieuse, puisque celle-ci est en vue de la prédication de l’Évangile. Ce n’est pas pour rien que le seul vœu que nous exprimons publiquement est celui de l’obéissance.
II - ITINERANCE - VIE CONTEMPLATIVE - MATURITE
ITINERANCE OU DEMEURE - Y A-T-IL UNE « MEILLEURE PART » ?
14. « Comme ils faisaient route, il entra dans un village, et une femme, nommée Marthe, le reçut dans sa maison. Celle-ci avait une sœur appelée Marie, qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Marthe, elle, était absorbée par les multiples soins du service. Intervenant, elle dit : ‘Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur me laisse servir toute seule ? Dis-lui donc de m’aider.’ Mais le Seigneur lui répondit : ‘Marthe, Marthe, tu te soucies et t’agites pour beaucoup de choses ; pourtant il en faut peu, une seule même. C’est Marie qui a choisi la meilleure part ; elle ne lui sera pas enlevée.’ »
Ce passage de l’Évangile selon saint Luc est probablement celui qui a contribué et contribue toujours le plus à une compréhension chrétienne de la contemplation : la contemplation est devenue synonyme du contraire de l’action, et valant mieux que l’action. Dans cette image, on chercherait en vain une allusion à la valeur particulière de l’itinérance pour un vrai disciple du Christ, hormis le fait que le Seigneur lui-même et ceux qui l’accompagnaient « faisaient route », avant d’entrer dans la maison de Béthanie.
Et pourtant, par un malentendu, on persiste parfois à interpréter ce texte comme une condamnation de l’action, donnant la préférence à « une vie cachée de silence » ou à un « lieu retiré pour la contemplation ». Et de fait, à première vue, « l’itinérance » semble exactement à l’opposé de l’attitude de Marie dans l’Évangile de Luc : elle ne bouge pas même d’un pouce pour aider sa sœur !
Enfant, je me sentais toujours quelque peu mal à l’aise devant la réaction de notre Seigneur à la requête de Marthe. D’un côté, d’après mon raisonnement naïf, Jésus profite de la diligence et du labeur de Marthe, mais d’un autre côté, en même temps, il reste avec Marie, qui est assise à ses pieds se contentant de l’écouter. À vrai dire, j’avais de la peine pour Marthe et j’en voulais à Marie, que je trouvais bien paresseuse, et il me semblait un peu injuste que Jésus la félicitât. Je m’imaginais devoir faire la vaisselle pendant que ma sœur lirait la Bible -j’aurais sûrement considéré qu’elle avait pris la meilleure part, et certainement pas qu’elle méritait des félicitations par dessus le marché ! Seulement, contredit-on Jésus ? J’aurais néanmoins aimé lui poser une question : mais alors, et tes paroles à la femme qui éleva la voix du milieu de la foule en te disant : « Heureuses les entrailles qui t’ont porté et les seins que tu as sucés ! » Ne lui as-tu pas répondu : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et l’observent ! » ?
Quoique mon innocente pensée enfantine ait bien peu à voir avec l’érudition biblique actuelle, je demeure convaincu d’avoir eu raison de mettre en doute une conception de la « contemplation » qui ne consisterait qu’à « s’asseoir et écouter ». Selon l’enseignement de notre Seigneur lui-même, il faut « observer la parole », « faire la volonté du père » .
ITINERANCE ET CONTEMPLATION : L’ART D’INTERPRETER LE TEMPS PRESENT
15. Ce qui est clair, c’est qu’on utilise à tort « contemplation » si l’on se limite à un contraste avec « action », comme pour exhorter qu’il vaut mieux rester chez soi à ne rien faire que de s’asseoir et d’écouter. Non sans raison les Constitutions des Moniales de notre Ordre associent, dans un même souffle, la contemplation et le silence, avec l’empressement au travail, la ferveur dans l’étude de la vérité, l’assiduité à la prière et la concorde fraternelle.
Aussi, en tous cas selon une conception dominicaine, « la vie contemplative » c’est « la contemplation » allant de pair avec « l’action ». La « contemplation » est donc autre chose que la paresse. Et elle ne signifie pas immobilité ou rigidité. Même la clôture de nos moniales est liée à l’intelligence de la largeur, de la hauteur et de la profondeur de l’amour de Dieu, qui a envoyé son Fils pour que, par Lui, le monde entier soit sauvé.
« Le vide », si important pour toute « contemplation », n’est pas l’oisiveté. L’Évangile selon saint Jean nous raconte une autre visite de Jésus à la maison de Béthanie, qui nous aide à saisir plus pleinement les dimensions d’une « vie contemplative ».
« Six jours avant la Pâque, Jésus vint à Béthanie, où était Lazare, que Jésus avait ressuscité d’entre les morts. On lui fit là un repas, Marthe servait. Lazare était l’un des convives. Alors Marie, prenant une livre d’un parfum de nard pur, de grand prix, oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux ; et la maison s’emplit de la senteur du parfum. »
Marthe sert à nouveau le Seigneur, Lazare est à table avec Jésus, mais Marie, qui dans l’Évangile de Luc avait choisi la meilleure part, n’est pas assise aux pieds de Jésus cette fois-ci, au contraire elle fait quelque chose de bien concret. Il semble pourtant qu’elle ait encore choisi « la meilleure part ». Jésus prend à nouveau son parti et la soutient contre l’intervention de Judas l’Iscariote et des disciples. Ce qui nous amène à la question : Quel est le mystère du « choix de la meilleure part », quelle est la véritable clé d’une « vie contemplative » ?
On trouve une réponse à cette question dans le livre de l’Ecclésiaste, un texte d’une grande sagesse -sûrement le résultat, le fruit d’une vie contemplative :
« Il y a un moment pour tout et un temps pour toute chose sous le ciel. Un temps pour enfanter, et un temps pour mourir ; un temps pour planter, et un temps pour arracher le plant. Un temps pour tuer, et un temps pour guérir ; un temps pour détruire, et un temps pour bâtir. Un temps pour pleurer, et un temps pour rire ; un temps pour gémir, et un temps pour danser. Un temps pour lancer des pierres, et un temps pour en ramasser ; un temps pour embrasser, et un temps pour s’abstenir d’embrassements. »
« Interpréter le temps présent », voilà ce que Jésus attend des disciples. De toute évidence, Marie de Béthanie comble pleinement l’attente du Seigneur : lorsqu’elle s’assied à ses pieds pour écouter ses paroles, mais tout autant quand elle prend une livre de parfum et exprime généreusement son amour, sans se soucier de ce que les gens peuvent penser d’elle.
Comment y parvenir ? Quelles sont les conditions préalables nécessaires pour devenir un interprète du temps présent, un homme contemplatif, une femme contemplative ? Est-ce cette forme particulière d’attention que Marie de Béthanie manifeste au Seigneur : elle est totalement attentive à lui, à sa personne, elle est totalement attentive à sa mission, et en même temps elle demeure consciente d’elle-même et de ce qui est bon pour elle : elle vit réellement une relation permanente avec « celui que son cœur aime ».
Ce type d’attention implique qu’on centre sa vie entière sur un point unique : le lien avec Dieu et sa volonté. Pas à pas, cela nous forme à la façon dont Jésus a mené sa vie : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et de mener son œuvre à bonne fin. »
Aucun doute sur l’itinérance de Jésus, et qu’il ait vécu une vie active ne fait pas de doute, mais il n’y a aucun doute non plus sur sa prière solitaire et silencieuse : la clé d’une vie contemplative est « l’interprétation du temps présent », l’attention à la volonté du père, la décision de ne régler votre vie que sur ce que Dieu demande ici et maintenant, « d’aimer le Seigneur votre Dieu, de suivre toujours ses voies, d’observer ses commandements, de vous attacher à lui et de le servir de tout votre cœur et de toute votre âme. »
ITINERANCE - CONTEMPLATION - MATURITE
16. « Notre cœur ne connaît aucun répit jusqu’à ce qu’il trouve son repos en Toi » -cette idée pénétrante de saint Augustin relie nos réflexions sur l’itinérance et la contemplation à la maturité dans la vie religieuse (et chrétienne). La maturité est inconcevable sans changement, sans avancée, sans prise de risque, sans itinérance spirituelle. Mais ce processus de croissance a besoin de haltes, de pauses, de temps d’adaptation aussi. Il nécessite à la fois notre travail personnel et des stimulations externes.
L’Évangile de Luc nous offre un excellent récit sur le processus de maturation religieuse et humaine.
« Et voici que, ce même jour, deux d’entre eux faisaient route vers un village du nom d’Emmaüs, distant de Jérusalem de soixante stades, et ils conversaient entre eux de tout ce qui était arrivé. » L’itinérance -n’eût-elle pour but que d’échapper à la dépression- est décrite comme une condition suffisante, sinon nécessaire, à la guérison intérieure et au développement, tout comme l’amitié. Il n’existe pas de maturation que l’on suive seul. On a besoin de l’autre, besoin qu’il ou elle chemine à nos côtés, qu’il ou elle nous réconforte, qu’il ou elle partage nos soucis et nos préoccupations, qu’il ou elle nous remette en question.
« Et il advint, comme ils conversaient et discutaient ensemble, que Jésus en personne s’approcha, et il faisait route avec eux ; mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Il leur dit : ‘Quels sont donc ces propos que vous échangez en marchant ?’ Et ils s’arrêtèrent le visage sombre. » Le récit nous fournit là une idée supplémentaire de comment l’on mûrit : en-dehors des personnes qui nous sont déjà familières, nous avons besoin d’être provoqués par l’extérieur. Pleurer ensemble et partager au sein d’un cercle d’amis n’est pas suffisant. Tant qu’on reste en terrain connu, il n’y a ni amélioration ni progrès : on s’arrête le visage sombre. Et même si l’on s’ouvre à la rencontre avec l’autre dans une expérience d’altérité, nos yeux pourraient bien être empêchés de reconnaître.
« Prenant la parole, l’un deux, nommé Cléophas, lui dit : ‘tu es bien le seul habitant de Jérusalem à ignorer ce qui y est arrivé ces jours-ci !’ » Cela nous amène à une autre idée concernant les conditions préalables au processus de maturation. Cléophas considère l’inconnu à côté d’eux comme le seul à ne pas savoir. Alors qu’en fait, l’inconnu est justement le seul qui sait ! Mûrir exige une sorte d’abandon des sécurités. Tant que je serai convaincu d’être le seul à savoir, sûr que l’autre, l’inconnu, l’étranger est le seul à ignorer, mes yeux resteront clos et mon cœur ne sera pas tout brûlant au-dedans de moi -je ne pourrai atteindre à la maturité religieuse. « Alors il leur dit : ‘Ô cœurs sans intelligence, lents à croire à tout ce qu’ont annoncé les Prophètes !’ » Ce qui souligne l’obligation de compter avec cette possibilité : et si le cœur sans intelligence c’était moi, les convictions insensées les miennes, et non celles que je répute telles -comme les disciples d’Emmaüs qui considéraient insensées les femmes de leur groupe ?
« Et, commençant par Moïse et parcourant tous les prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait. » Nous observons maintenant la connexion entre la contemplation comme attention et le développement spirituel. Il faut écouter la Parole de Dieu et tenir compte de son étrangeté et de sa nouveauté. C’est ce que font les disciples d’Emmaüs en fait. Ils écoutent attentivement celui qui les a traités de « cœurs sans intelligence ». Ils vont même plus loin, ils le pressent : « Reste avec nous, car le soir tombe et le jour déjà touche à son terme. » D’une certaine manière, c’est la curiosité, une aspiration profonde à plus de clairvoyance, un ardent désir de mieux comprendre, qui, au bout du compte, avec la révélation pleine d’amour du Seigneur, conduit à la reconnaissance et à la maturité du disciple. Maintenant leur itinérance va changer de direction : de la fuite à la rencontre, les yeux ouverts sur l’inattendu.
Le dernier Chapitre général formule cela en termes concrets pour la vie dominicaine contemporaine, en abordant le lien entre la contemplation et la formation (initiale) : « Considérant les différents aspects de ce monde qui ont formé nos frères jusqu’ici, trois éléments s’avèrent cruciaux pour qu’ils s’approprient un esprit contemplatif authentiquement dominicain : la constance, la profondeur et l’ouverture. La constance est un remède à notre expérience du caractère parfois éphémère que revêt notre vie, que ce soit sur un plan intellectuel, personnel ou religieux. Elle est manifeste dans notre longue vie d’étude et dans l’observance externe de la prière, du silence et d’une vie commune qui devrait nous réjouir. La profondeur s’érige en contraste face aux plaisirs, souvent superficiels, promis à bon nombre de gens dans une économie globale, mais dont peu sont récompensés ; elle engendre la guérison du désir qui est à la fois nécessaire et attendue. Elle est surtout visible dans le développement de la vie de prière, la vertu, l’amour de l’étude et dans une connaissance de soi plus compatissante. L’ouverture est à la fois un héritage de notre temps, mais aussi un antidote aux réactions contre celui-ci. Comme dominicains, nous ne pouvons prétendre être des prêcheurs vraiment contemplatifs qu’à la condition d’être ouverts aux personnes et à leurs expériences, à de nouveaux apprentissages et aux voies nouvelles à travers lesquelles Dieu nous invite à servir. Pourtant, afin que ces éléments soient présents et bien intégrés pour nos frères en formation initiale, nous devons nous engager nous-mêmes à renouveler notre vie dans chacune de ses dimensions (Mexico 27, 4) et à participer à la vie commune, même s’il nous en coûte personnellement (Ratio Formationis Generalis, 166). Ainsi faisant, nous donnons à nos frères en formation une manifestation visible de la Sainte Prédication à laquelle ils sont appelés et pour laquelle nous les invitons à engager leurs vies. »
Je ne saurais conclure cette approche spirituelle de l’aspect « Itinérance - Contemplation - Maturité » sans du moins citer un autre texte clé. On le trouve à la fin de l’Évangile de Jean : c’est le dialogue émouvant entre Jésus et Pierre. Après le témoignage de Pierre, « Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime », et la réponse de Jésus : « Pais mes brebis », le Seigneur continue : « En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu mettais toi-même ta ceinture, et tu allais où tu voulais ; quand tu auras vieilli, tu étendras les mains, et un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudrais pas. » Voilà peut-être la partie la plus importante de notre itinérance personnelle, la contemplation la plus profonde, le plus haut degré de maturité : quand nous sommes prêts à accepter que ce n’est plus nous qui définissons et décidons que faire, où aller, que quitter et que garder -mais nous étendons les mains pour qu’un autre puisse nous ceindre et nous emmener où nous ne voudrions pas- tout en gardant pleinement confiance que tout ce qui arrive est pour notre bien, et nous sommes encore capables d’avouer : « Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime ».
III - L’ITINERANCE DANS LE CHEMINEMENT INTELLECTUEL ET LE PARCOURS DE LA FORMATION
17. Itinérance signifie mouvement, capacité d’aller de l’avant avec passion, dans un esprit d’aventure. En réfléchissant à cet aspect de notre vie dominicaine, nous pouvons tenter de discerner les différentes manières dont ce mouvement est parfois bloqué, en nous-mêmes, dans nos communautés et dans nos provinces. Le blocage du mouvement intérieur est en fin de compte une forme de refoulement ou de répression. Il peut survenir au niveau des émotions, ce qui est une forme de névrose ; il peut apparaître au niveau mental, ce qui est un brusque arrêt idéologique des capacités intellectuelles ; et il peut se manifester au niveau de la vie spirituelle, lorsque la réponse à Dieu est paralysée par des freins intérieurs. Cette dernière forme de répression est la plus inhibitrice de l’itinérance propre à notre charisme dominicain.
LA LIBERATION DE L’ITINERANCE EMOTIONNELLE
18. Dans une répression de type névrotique, la dynamique des émotions est bloquée par d’autres émotions, par la peur, ou par un sentiment d’obligation affective. Cela mène à une concentration sur soi-même, une incapacité à l’autocritique, et une gravité qui ne laisse aucune place à l’humour. La répression émotionnelle est un problème de la jeunesse, quand la peur de soi-même, de ce qui est nouveau, de la sexualité, de ce que les gens vont faire ou dire, ou le sentiment émotionnel du devoir devient la règle primordiale. Elle empêche la conscience de raisonner par elle-même. Ce qui peut pousser de jeunes hommes et de jeunes femmes à rechercher la sécurité d’une vie religieuse protégée. Dans leur fragilité émotionnelle, ils sont parfois en quête de règles de vie claires et simples qui les dispensent du risque et de l’aventure. Au lieu d’être motivés par une fascinante mission de prédication, réussir à toucher les Cumans de notre époque, ils demeureront coincés par leurs peurs, par leur désapprobation instinctive de tout ce qui implique une nouveauté. Une vie communautaire saine les aidera à se libérer de ces peurs, à toucher les autres, à se laisser émouvoir par eux, à rire en toute liberté intérieure de leurs propres tâtonnements. Bienheureux ceux qui savent rire d’eux-mêmes, car ils s’amuseront beaucoup toute leur vie !
LA LIBERATION DE L’ITINERANCE INTELLECTUELLE
19. Dans le cas d’une répression intellectuelle, l’esprit est empêché d’avancer à la rencontre de la vérité dans toute sa richesse et sa diversité contextuelle. Un esprit qui s’abstient de l’effort de chercher la vérité, ou qui préfère des demi-vérités d’une simplicité séduisante, reste coincé dans une lamentable paralysie intellectuelle ou sera constamment ballotté au gré de forces extérieures telles que la mode.
20. L’itinérance ne devrait pas signifier une dispersion de l’esprit. Il y a là un danger intellectuel : adopter une attitude de type supermarché, essayer de tout savoir, s’intéresser à tout, accepter toutes les tendances à la mode sans même tenter de voir comment elles s’accordent entre elles. La première étape de la formation intellectuelle est un moment où l’esprit doit être nourri. Nous avons besoin de temps pour étudier, de temps pour une construction contemplative du monde. Nous devons nous poser des questions plus profondes, voir le nexus mysteriorum, l’enracinement métaphysique de la vérité.
Jésus a dit : « Ouvrez l’œil et gardez-vous du levain des Pharisiens et du levain d’Hérode » (Mc 8, 15). Les Pharisiens croyaient détenir toutes les réponses, leur esprit bloqué ne pouvait s’étendre au-delà de leurs convictions rigides. Hérode, lui, n’avait aucune réponse, aucune idée préconçue, aucune idéologie ; il voulait se divertir et s’amuser. À l’ère postmoderne, les grandes idéologies ont disparu, et le monde tourne autour du divertissement, faire de l’argent et le dépenser, créer et satisfaire des besoins superficiels. Il est donc tentant aujourd’hui d’en rester au niveau de la surface. Un/e jeune entrant dans l’Ordre peut être tenté/e de tout connaître, de s’intéresser à tout, d’accumuler sur maintes questions quantité d’informations issues de la télé, des journaux, des voyages ; mais il lui manquera une capacité de vision approfondie. « On est contraint de constater le caractère fragmentaire de propositions qui élèvent l’éphémère au rang de valeur, dans l’illusion qu’il sera possible d’atteindre le vrai sens de l’existence » (Jean Paul II, Fides et ratio, 6). La première étape de la formation intellectuelle doit aider le/la jeune à se forger des convictions, à s’affranchir de l’esclavage des modes. Notre tradition dominicaine est fondée sur la conviction que la raison possède un penchant inhérent pour la vérité, qu’elle peut percevoir le vrai bien, et s’y conformer, non sous la pression du groupe extérieur, mais parce que c’est vrai. Pour cela, cependant, la capacité de discerner la vérité doit être développée.
De quel type de philosophie dotons-nous nos jeunes ? Un savoir d’idées disparates et contradictoires, permettant de s’adapter aux divers courants de pensée contemporains ? Ou une philosophie qui intègre l’esprit, le conforte dans sa capacité de connaître le vrai, lui donne les moyens d’interpréter de manière critique ce qu’on observe dans la culture contemporaine ? Certaines personnes ont besoin d’aide pour formuler une synthèse intellectuelle, avant de pouvoir s’étendre vers de nouveaux domaines de pensée. D’autres y réussiront tout en acquérant un savoir disparate, car ils ont déjà des convictions intérieures bien formées.
Un excès d’itinérance intellectuelle durant la phase initiale de la formation peut avoir des effets désastreux. Certains, dans leur cheminement intellectuel, passent d’un extrême à l’autre. Ils commencent libéraux et finissent ultra-conservateurs. Ils cherchent des réponses à leurs questions dans le bouddhisme, la psychanalyse ou les sciences politiques, sans jamais prendre le temps de se plonger dans la Parole de Dieu et dans la tradition catholique. La formation intellectuelle initiale devrait déboucher sur le choix d’un Maître, auteur/e approuvé/e par l’Église, qui aidera l’étudiant à formuler une synthèse théologique. Il peut s’agir d’un Père ou d’un Docteur de l’Église, d’un théologien renommé, ce peut très bien être saint Thomas d’Aquin. Si les jeunes frères et les jeunes sœurs passent de nombreuses années à lire l’auteur/e élu/e, à étudier sa théologie, à construire leur ministère et leur prédication en se fondant sur l’œuvre du Maître, cela leur donnera un solide point de repère. Le prêcheur saura de quoi il parle. En revanche, l’absence de synthèse peut conduire à un état de perpétuelle itinérance, sans aucune conviction.
21. La nécessité d’une certaine hygiène intellectuelle ne doit cependant pas faire redouter les questions. La tradition thomiste formule le videtur quod. Notre synthèse intellectuelle est fondée sur la conviction que l’esprit peut s’accrocher au vrai bien. Convaincus que la vérité est accessible, nous pouvons aborder sans crainte toutes sortes de questions, sûrs que chaque vérité, quelque en soit la source, découle en fin de compte du Saint-Esprit. Un esprit formé, capable de discernement critique, n’a pas peur des idées nouvelles. Il continue de développer sa curiosité, il n’hésite pas à comparer son approche à celle des autres, il est capable d’acquérir de nouvelles informations, d’élargir son champ d’intérêt, parce qu’il possède une base. L’itinérance est possible quand on a un foyer où rentrer. Elle n’est pas une invitation au nihilisme intellectuel.
Un esprit formé à rechercher la vérité, et à s’y tenir, sera exempt de toute stagnation intellectuelle. La quête de la vérité devrait nous éviter de rester englués dans un état d’esprit, une vision de l’Église, de la société, où il n’y aurait pas de place pour une auto-analyse critique. Demandons-nous à l’Esprit où il nous conduit ? Le laissons-nous faire ? L’intelligence a soif de vérité ; mais on peut l’asservir : c’est le danger des idéologies. L’intelligence s’arrête brusquement à une demi-vérité, et ne se laisse pas conduire à la plénitude. Il n’y a pas que les grandes idéologies à avoir imposé diverses formes de totalitarisme. Il y a aussi de petites idéologies qui enferment des communautés et des provinces. Un style de vie particulier, un ensemble d’options concernant l’Église, les besoins d’une province ou d’une congrégation religieuse, se transforment aisément en une tradition inamovible. C’est un peu comme un moyen contraceptif qui empêcherait la naissance de nouveaux concepts ; il n’y a pas de vie insufflée. La forme dominicaine de gouvernement démocratique chérit la nouveauté pleine de vie des idées, à laquelle il faut réserver un champ d’expression dans nos Chapitres, nos rencontres communautaires, nos sessions de formation. Certes, toutes les solutions proposées ne conviennent pas, mais un milieu communautaire sain permettra qu’elles soient exprimées et discutées. Alors que si on relègue la discussion aux oubliettes, les petites idéologies maintiendront la communauté dans un état d’inertie.
La recherche de la vérité doit être entreprise dans la vie communautaire, les réflexions philosophiques, l’étude de la théologie, et dans le pèlerinage de la foi. Un des drames de la scène intellectuelle contemporaine est l’abandon de la quête de la vérité. « Il en va ainsi, par exemple, de la défiance radicale envers la raison que révèlent les plus récents développements de nombreuses études philosophiques. De plusieurs côtés, on a entendu parler, à ce propos, de "fin de la métaphysique". (...) Je ne peux pas ne pas encourager les philosophes, chrétiens ou non, à avoir confiance dans les capacités de la raison humaine et à ne pas se fixer des buts trop modestes dans leur réflexion philosophique » (Fides et ratio, 55-58). « Le mystère de l’Incarnation restera toujours le centre par rapport auquel il faut se situer pour pouvoir comprendre l’énigme de l’existence humaine, du monde créé et de Dieu lui-même. Dans ce mystère, la philosophie doit relever des défis extrêmes, parce que la raison est appelée à faire sienne une logique qui dépasse les barrières à l’intérieur desquelles elle risque de s’enfermer elle-même » (Fides et ratio, 80).
22. L’expansion de l’esprit, itinérance intellectuelle, l’entraîne plus profond encore dans la vérité. C’est ce que signifient la foi et le dogme. Suivant la tradition théologique classique, la foi est un don de Dieu qui fait sortir l’esprit de sa coquille et l’attire à Dieu. Les énoncés dogmatiques sont un don du Saint-Esprit pour apporter plus de lumière, empêchant l’esprit de tomber dans l’erreur et le recentrant sur le mystère qui est salvifique. Dans la pensée moderne, la foi et le dogme sont interprétés comme une limitation de l’esprit, un blocage de la curiosité imposé par les autorités ecclésiastiques. Une itinérance spirituelle impliquera que l’esprit s’étende jusqu’à la vérité révélée. « En tant que vertu théologale, la foi libère la raison de la présomption, tentation typique à laquelle les philosophes sont facilement sujets » (Fides et ratio, 76).
L’adaptation de l’esprit au mystère divin est néanmoins douloureuse, car, par nature, l’esprit aspire à la clarté alors que la foi est une rencontre du mystère. Au sein même de la foi, il y a place pour chercher à comprendre (cogitatio fidei) , mais on trouve aussi parfois une coagitatio fidei. Le besoin de clarté inhérent à l’esprit fait qu’en s’adaptant à la foi, il se trouble. Dans l’essor de la foi l’esprit rencontre la croix. Le passage par cette croix est toujours douloureux, mais, paradoxalement, vivifiant. La grande pierre d’achoppement de la foi c’est l’orgueil intellectuel : l’incapacité ou le refus inconscient d’accepter le mystère. Nous ne devons pas scruter la Parole de Dieu à travers les instruments des sciences humaines en prenant ces sciences (histoire, archéologie, linguistique, psychologie, sociologie, philosophies) comme critère suprême, car cela détruit la foi. (Interprétant saint Paul, Thomas d’Aquin dit que même les bonnes philosophies peuvent détruire la foi, si ce sont elles qui ont le dernier mot !) . Nous sommes appelés à scruter notre vie en prenant la foi pour critère suprême. C’est douloureux pour l’orgueil intellectuel, mais c’est la seule manière d’avancer. Le courage de l’itinérance intellectuelle rend possible l’itinérance au niveau spirituel.
LA LIBERATION DE L’ITINERANCE SPIRITUELLE
23. Dans son pèlerinage de foi, l’esprit a besoin d’être libre de toute attache. Or, quand nous inventons des projets, de nouvelles missions, quand nous percevons des défis, quand nous concevons des idées, nous tendons à nous y attacher. L’attachement à nos propres concepts est bon pour un temps, mais nous nous en attribuons très facilement le mérite. Lorsque le Saint-Esprit conçoit la vie dans l’Église, c’est sans égoïsme, en un don total de soi. La conception du Saint-Esprit est immaculée. L’astuce consiste à être désintéressé dans ce que nous faisons avec passion. La motivation de notre travail a besoin d’être purifiée. Les mauvaises habitudes ne sont pas les seules qui ont besoin d’être purifiées, les bonnes intentions également, pour nous assurer qu’elles vont vers Dieu. Sans quoi l’attachement à nos propres idées empêche la croissance spirituelle et porte à se bâtir des empires personnels. L’essentiel est la transparence pour voir Dieu à l’œuvre en nous. Dans les inspirations intellectuelles comme dans les aspirations artistiques la tentation de l’égoïsme existe. À peine une idée nous vient-elle à l’esprit que déjà surgit la joie de l’utiliser dans un article, un projet artistique, une homélie à prêcher -pour notre gloire personnelle. Dépendre de Dieu, dans un esprit d’itinérance, exige une grande pauvreté spirituelle. Les bonnes choses qui nous passeront par la tête, les mains, la parole, viennent de Dieu et non de nous, même si nous leur avons consacré notre énergie et nos talents.
La profession religieuse par laquelle nous vouons notre avenir à Dieu confirme le prix de l’itinérance. Accepter l’inconnu, reçu dans la foi, comme règle de vie permanente, renforce notre attachement à Dieu et à Dieu seul. C’est là que naît la vraie fécondité de la vie et de la mission. Au fond, c’est la grâce de Dieu qui permet que le bien naisse de notre service.
Nous découvrirons au moment de la mort ce qu’était notre véritable vocation, quand, nous retournant sur notre vie, nous verrons à quel moment nous avons le mieux répondu aux appels qui nous étaient adressés. Une carrière authentique est faite par Dieu, tandis qu’à chaque étape de notre vie nous nous donnons à Lui totalement. Mais chaque étape est une surprise, elle n’arrive pas comme la réalisation d’un projet personnel pour lequel nous nous sommes battu. Dans les premières périodes de notre vie, nous faisons des plans et des rêves, mais, un à un, Dieu nous demande d’y renoncer, car ses desseins s’avèrent totalement différents. Que pouvons-nous dire de cette jeune postulante qui entra dans une congrégation dominicaine à Moscou, au début du XXème siècle ? Elle avait rêvé de parcourir la planète et de voir le monde, mais en même temps elle reconnaissait que Dieu lui demandait davantage. Elle mit ses rêves de côté et entra dans la vie religieuse, abandonnant à Dieu ses projets de voyage inaccomplis. La réponse de Dieu s’est révélée abondante. Avant la fin de son noviciat, la jeune femme fut arrêtée et envoyée au goulag en Sibérie. Elle vécut un long noviciat dans de nombreux camps de prisonniers, sur la côte Arctique puis au bord de la frontière chinoise. Son désir initial de voyage s’accomplissait d’une manière démoniaque mais divine à la fois. Sept ans passèrent avant qu’elle ne rencontre, dans un camp de prisonniers, une autre sœur entre les mains de qui elle put enfin faire sa profession. Une vie gâchée, peut-être, ou bien pas : au cœur de l’irréligion, au milieu du désespoir, cette sœur dominicaine a apporté le message de l’Évangile prêché par son témoignage et sa charité.
24. Comment se fait-il que certains d’entre nous ne veuillent pas se déplacer, refusent d’accepter que nous puissions être envoyés en mission ? Il y a les cas d’individualisme forcené, l’idée fixe de l’accomplissement personnel, l’ambition du succès. Au lieu de répondre à Dieu qui nous envoie, la poursuite d’une carrière privée l’emporte, comme si nous pouvions planifier notre vie. D’autres fois, c’est un attachement excessif à notre premier amour, la première assignation. Nous avons accepté la tâche qu’on nous confiait, nous l’avons accomplie avec la juste motivation, comme notre don à Dieu, mais au fil du temps nous nous sommes attachés à notre œuvre, nous traitons nos résultats comme s’ils ne tenaient qu’à nous. Nous n’arrivons pas à accepter que Dieu ait demandé nos services quelques années pour cette mission, avant que d’autres ne soient chargés de la poursuivre, tandis que nous devrons changer de tâche. C’est un moment difficile, comme pour les parents qui doivent laisser partir leurs enfants adultes. Les parents âgés qui ont focalisé leur vie sur leurs enfants peuvent redouter leur propre avenir : que vont-ils bien pouvoir faire plus tard dans la vie sans leurs enfants ? Mais c’est un passage normal, quand le temps est venu de trouver un nouveau défi dans l’existence.
Dans la vie religieuse, nous ne sommes pas propriétaires de nos apostolats, pas plus que nous ne possédons les gens que nous servons. Nous devons accepter qu’en les laissant à d’autres, c’est entre les mains de Dieu que nous les remettons, et Dieu aura soin d’eux. Pour cela il faut avoir l’espérance. Espérer, c’est accepter le mystère qui se déploie dans notre vie. Une espérance naturelle donne l’énergie, l’élan de relever des défis difficiles. (En polonais, le mot pour espérance, « nadzieja », signifie « force d’agir »). La vertu théologale de l’espérance, parce qu’elle est centrée sur Dieu, permet à notre volonté d’accepter la voie que Dieu nous a tracée. Saint Augustin et saint Jean de la Croix lient tous deux l’espérance à la mémoire, ils écrivent que pour croître en espérance, il faut purifier la mémoire. Non que se souvenir soit mauvais. Une bonne mémoire est bien sûr un atout de valeur, mais nous pouvons aussi nous attacher à nos souvenirs, aux bons comme aux mauvais, et cet attachement doit être purifié. L’attachement aux souvenirs agréables peut freiner l’enthousiasme d’aller de l’avant, d’accepter la nouveauté dans la vie. Il est normal qu’un frère travaillant dans une aumônerie universitaire ressente la joie de servir des jeunes au moment où ils s’épanouissent. Mais il les aidera de manière à les laisser partir, s’en aller vers d’autres villes, construire une famille, vivre leur vie. Quand il sera remplacé par quelqu’un de plus jeune, il devra mettre de côté le souvenir des joies et l’expérience pastorale acquise au fil des ans, pour pouvoir accepter une nouvelle tâche, un nouveau défi. De la même manière les mauvais souvenirs peuvent empêcher l’itinérance. Le rappel de situations difficiles, de souffrances, peut être paralysant. Quelqu’un qui a souffert dans une communauté où il ou elle n’était pas apprécié/e ne voudra certainement pas y retourner et ne sera pas prêt non plus à occuper un travail similaire, dans des conditions analogues. Alors que la communauté peut avoir changé entre-temps, ses membres peuvent avoir mûri, évolué, abandonné leurs comportements hostiles. Laisse-t-on à la communauté le droit de faire des erreurs et d’en sortir ? Les souvenirs douloureux ont aussi besoin d’être purifiés pour que l’espérance grandisse, et que soit acceptée la confiance dans le mystère divin qui se déploie dans la vie.
La purification de l’espérance aide à centrer l’attention sur Dieu. Et lorsque Dieu est vraiment notre passion première, alors nous sommes libres de partir. L’itinérance dominicaine a besoin de cette liberté. Le frère à qui l’on demande de changer de communauté tout comme le provincial à qui l’on demande de donner un frère peuvent le faire s’ils acceptent la conduite mystérieuse de Dieu. S’ils ne parviennent pas à s’ouvrir au mystère de Dieu ils refuseront les nouvelles missions qui leur seront proposées. Parfois les provinciaux sont perplexes lorsqu’on leur demande de donner un frère, parce qu’il a été formé et préparé pour la province ou qu’il gagne de l’argent pour la province... Où est alors l’ouverture au mystère dans l’espérance ?
25. Il n’est pas bon d’avoir trop de postes salariés. Évidemment les communautés préfèrent avoir des frères ou des sœurs qui ramènent un revenu régulier. Cependant, certaines tâches entreprises par l’ensemble de la communauté (par exemple, la responsabilité d’un sanctuaire) rapportent aussi de l’argent, sans pour autant lier un individu à un salaire. L’emploi salarié peut bloquer l’itinérance en ce qu’il conduit parfois une personne à passer des années dans le même travail, le même bâtiment, la même pièce. Les provinces qui ont trop de postes salariés finissent par stagner. Certains ministères doivent évoluer rapidement parce que la société traverse de profonds changements sociaux. Les jeunes changent souvent, sur des cycles de quelques années, ils écoutent un autre type de musique, vont voir un autre genre de films, mâchent un nouvelle marque de chewing-gum. Un jeune aumônier ou formateur/formatrice doit constamment s’adapter, préparer de nouveaux thèmes, de nouvelles conférences, pour ne pas perdre le langage commun avec les jeunes. À la longue, quand il y a peu de mouvement dans une province, une congrégation religieuse ou une fraternité laïque, l’inertie et la routine finissent par transmettre une image dépassée de l’Église.
26. Dans notre questionnement sur les réticences à l’itinérance, nous ne devons pas rejeter toute la responsabilité sur ceux qui ont du mal à quitter leurs attaches. Un blocage psychologique important contre l’itinérance vient parfois du manque de soutien de la part de qui envoie. Lorsqu’elle ouvre une mission, la province doit assumer la responsabilité des frères envoyés à l’étranger. Il y a habituellement une longue période durant laquelle une nouvelle mission appartient à la province, avec un statut de vicariat provincial ; à mesure qu’il croît en nombre, le vicariat devient d’abord régional, ensuite général, puis vice-province, et enfin province. Au long de toutes ces années, la province-mère peut envoyer ses frères dans la nouvelle entité, d’abord aux principaux postes de responsabilité, ensuite dans des engagements plus coopératifs, enfin dans une situation normale de dépendance vis-à-vis des frères locaux. Durant tout ce temps, la province-mère doit exercer sa responsabilité à l’égard des frères envoyés dans des missions lointaines. Ceux-ci ont besoin d’encouragements, d’intérêt, parfois d’aide financière. Si leur travail n’est pas considéré comme une mission mais comme un lieu commode pour mettre à l’écart les frères difficiles, dans la conviction que leurs problèmes se résoudront d’eux-mêmes, voilà qui par contrecoup découragera quiconque de relever le défi à l’avenir. Les personnes doivent savoir qu’elles sont envoyées en mission, pas reléguées dans un coin ou rejetées. L’itinérance exige la responsabilité de celui qui est envoyé comme de celui qui envoie.
27. Quand il allait de ville en ville, marchant le long des routes d’Europe, saint Dominique chantait Ave Maris Stella. Dans cette ancienne hymne mariale, on trouve la phrase Iter para tutum ! Saint Dominique priait Marie et lui demandait d’intercéder afin que son chemin soit sûr, qu’il le mène où il voulait aller, et que le dessein de Dieu soit présent dans ses initiatives.
IV - ITINERANCE ET MISSION
28. L’itinérance est le corollaire nécessaire de la mission. Ce lien ontologique s’enracine dans notre histoire et en particulier dans la vie de saint Dominique. Car il découvrit sa mission « en route » et envoya ses frères -même les novices- vivre « sur la route ». Les récents Chapitres de l’Ordre nous rappellent cette histoire et nous appellent à « nous remettre en route ». Quezon City, en 1977, a peut-être été le premier à montrer une conscience que les priorités s’étaient déplacées, mettant au premier rang « la catéchèse dans divers lieux et cultures ». Conscient que cette situation nouvelle et différente appelait une approche nouvelle, le Chapitre déclarait comme seconde priorité « la formation et la préparation nécessaire à la prédication dans ce nouveau monde ».
Les Chapitres suivants ont élaboré la signification précise de ces nouvelles priorités. Walberberg, en 1980, abordait « l’adaptation de nos activités apostoliques aux besoins d’aujourd’hui » et présentait quelques « jalons spécifiques » qui devraient caractériser la mission et la prédication dominicaines : prophétique, tirant crédibilité de notre pauvreté, fondée sur la compassion et s’appuyant sur l’étude scientifique de la théologie . Avila, en 1986, dans le pays même de Dominique, « homme de la frontière » exceptionnel, affirmait que la « mission spécifique » de l’Ordre est « l’évangélisation sur les frontières ». Et d’énumérer ces frontières où nous devons vivre notre mission. Oakland, en 1989, provoquait l’Ordre : « Entendons-nous ces appels qui montent du monde d’aujourd’hui ? » N’avons-nous pas plutôt besoin d’une conversion profonde, pour sortir des « commodité et sécurité [qui] produisent souvent des mentalités réfractaires à tout changement ». Nous devons retrouver « l’esprit d’itinérance et de mobilité de Dominique et (...) retrouver une pauvreté qui nous rende accueillants au souffle de l’Esprit et sensibles aux cris des âmes en détresse » .
Mexico (1992) signale les situations et les défis actuels de la vie apostolique dans l’Ordre et déclare avec vigueur : « Notre détermination [à relever ces défis] provient de l’exigence qui se trouve au cœur de chaque dominicain face à un appel si pressant. Les germes de notre tradition sont prêts à refleurir et porter fruit pour peu que nous sachions les accueillir avec un cœur généreux ». Le Chapitre cite aussi des « points forts de notre tradition », dont chacun exige et met en jeu un certain type d’itinérance physique ou mentale : la mobilité, être prêt à partir sans se laisser paralyser par un excès de bagage matériel, culturel, intellectuel ; le souci et le respect des gens, les rencontrer là où ils sont ; l’ouverture d’esprit, être prêt à apprendre et à écouter ; la communauté, car nous n’agissons jamais seul. Caleruega (1995) nous appelle à être « fidèles à l’itinérance » .
Les deux derniers Chapitres se centrent sur la nature de l’itinérance comme dépassement, « aller au-delà ». La mission, déclare Bologne (1998), « appelle l’Ordre à se porter courageusement par delà les frontières qui séparent les pauvres des riches, les femmes des hommes, les différentes confessions chrétiennes et les autres religions ». Le Chapitre situe cette mission sur « les lignes de fractures » de l’humanité et voit les membres de l’Ordre « consentir à servir ‘l’autre’ », (...) prêts à l’écouter et à nous laisser transformer par lui » .
Dans sa Relatio de Statu Ordinis au Chapitre de Providence, le Maître de l’Ordre parle d’un « avenir choisi, et dans la ligne d’une itinérance de cœur, d’esprit et de mission » et le Chapitre dit que chaque membre de la province doit garder la préoccupation de la mission d’un vicariat : « La province devrait promouvoir un esprit d’itinérance de sorte que les frères soient vraiment disponibles pour s’investir dans un tel service » .
La réflexion qui suit est une contribution pour encourager précisément cet esprit d’itinérance « de cœur, d’esprit et de mission ».
SE REMETTRE EN ROUTE
29. D’après les témoignages bibliques, c’est toujours au cours d’un voyage que les choses surprenantes se produisent. Abraham se précipite hors de sa tente pour saluer les étrangers et ceux-ci lui promettent un avenir différent de celui que Sarah et lui avaient imaginé (Gn 18, 1-15). Moïse, en fuite, fait l’expérience de Dieu à travers un buisson ardent et découvre en même temps un peuple et une mission. Dieu lui dit : « Maintenant va, je t’envoie (...) » et promet : « Je serai avec toi » -tant que tu poursuivras ton voyage... (Ex 3, 1-21). Jacob, « sur son chemin », lutte avec l’ange au gué de Yabboq, dans une histoire de conversion et de vulnérabilité. Comme beaucoup d’entre nous, Jacob a quelques traits de caractères fort désagréables. C’est un escroc et il a très peur de ceux à qui il a causé du tort. Derrière lui, son beau-père est à ses trousses ; devant lui, Ésaü l’attend. Et puis, il y a le combat, dont Jacob sort pardonné et converti, avec un nouveau nom, une nouvelle mission -et boiteux.
C’est « sur la route » que Jésus appelle ses disciples et c’est « en chemin » qu’il leur enseigne. (Il y a dans le film de Pasolini sur l’Évangile selon saint Matthieu une scène inoubliable du Sermon sur la Montagne : Jésus marche à toute vitesse à travers les collines, les disciples essaient de suivre le rythme et de le rattraper pour écouter ses paroles, et lui tourne la tête dans leur direction, tout en avançant, pour leur enseigner « en route ». Lorsque les quatre mille furent rassasiés, selon Marc (8, 1-10), c’est en chemin qu’ils mangèrent, en hâte comme dans un fast-food. Et c’est encore sur la route que Jésus apprenait des personnes qu’il rencontrait, comme la femme païenne (Mt 15, 21-28) dont il loue la foi, l’offrant même en modèle à ses disciples. Enfin, c’est sur le chemin d’Emmaüs qu’il se révèle aux disciples découragés (Lc 24, 13-35).
Voilà exactement la mission qu’il donne aux disciples : il les envoie, les fait « se remettre en route », sans bourse, sans besace ni sandales. Il leur dit : « Ne vous attardez pas en chemin pour saluer des gens » (Lc 10, 4). Il y a à ce sujet plusieurs choses intéressantes : Jésus les invite à une vie d’itinérance, une vie d’urgence (« repartez sans cesse ») et une vie de dépendance, fonction de la bonté d’autrui, d’étrangers qu’ils « ne connaissent pas ».
ACCUEILLIR EN SOI
30. Être itinérant, c’est se rendre vulnérable et dépendant. Mais pour un dominicain, l’itinérance est la seule réponse adaptée dans un monde qui produit des sans-abri, des souffrants, des étrangers. Se remettre en route -comme nos Chapitres généraux ne cessent de nous le rappeler-, c’est vivre sur ces « lignes de fractures » de l’humanité, partager le sort de ceux qu’on a contraints à l’itinérance. Cela signifie partager leur sort de sans-abri, pour les positions que nous prenons et qui vont à l’encontre de l’opinion dominante.
Le bibliste Walter Brueggemann parle du « monopole de l’imagination » : l’expression suggère que « certaine entité ou force de la société détient à la fois tout le pouvoir de décider comment ressentir les choses, et le droit légitime de fournir la lentille à travers laquelle la vie est correctement vue ou vécue. Nul n’est autorisé à avoir une image hors de ce catalogue d’idées ou d’images approuvées » . S’élever contre des monopoles aussi puissants c’est nous aligner sur la vision de l’Évangile que Dominique a faite sienne. (Selon un écrivain, ce n’est pas seulement pour les universités que Dominique a envoyé ses frères dans les villes, mais parce que là se trouvaient les victimes qu’une société mercantiliste émergeante venait de priver du droit de vote : les dominicains se devaient d’être leurs « frères »). Prendre une telle position, c’est nous rendre nous-mêmes marginaux et vulnérables. Mais c’est alors seulement que notre prédication est crédible.
Il est intéressant, dans notre contexte, de saisir que le mot grec utilisé dans le Nouveau Testament pour « accueillir » (lambano : « prendre, recevoir, posséder ») ne veut pas dire qu’on mettra à l’écart ceux dont la conduite n’est pas en harmonie avec la nôtre. Ce verbe indique que nous devons « [les] prendre avec nous » et « [les] faire entrer chaleureusement dans notre compagnie » . Ce mot est souvent utilisé par saint Paul pour sa vision d’inconnus devenant une communauté, enracinée dans l’expérience de ce que Dieu fit en Jésus : « C’était Dieu qui dans le Christ se réconciliait le monde (...) mettant en nous la parole de la réconciliation » (2 Co 5, 19). C’est pourquoi il conjure les Romains de « donner l’hospitalité » (12, 13). Mais pour se réconcilier les autres, en faire ses amis, ou les accueillir, il faut les considérer « semblables à nous » par leurs besoins, leurs expériences et leurs attentes. « Il ne suffisait pas, écrit Christine D. Pohl, que les étrangers fussent vulnérables, les hôtes devaient s’identifier à leurs expériences de vulnérabilité et de souffrance avant de les accueillir » .
Le fait de « ne pas être à sa place », qui va de pair avec l’itinérance, signifie peut-être en fait pouvoir se mettre à la place de l’autre. Et il se pourrait bien que le texte le plus fondamental pour la mission ne soit pas celui du traditionnel « Va et baptise », mais plutôt un passage tel que 2 Co 1, 3-7, qui définit la mission comme paraklesis, consolante et réconfortante. Paul écrit : « Béni soit (...) le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation, qui nous console dans toute notre tribulation, afin que, par la consolation que nous-mêmes recevons de Dieu, nous puissions consoler les autres en quelque tribulation que ce soit (...) ». Ce qui intéressant dans ce passage, c’est l’appel à une expérience mutuelle. Même ce que nous souffrons sert à la consolation des autres. La mission a-t-elle d’autre motif que de sortir, comme Jésus, qui « étendit la main et toucha » (Mc 1, 41), pour aller voir les personnes vulnérables, le long du chemin, dans une relation de guérison et de réconfort.
PRENDRE LE RISQUE
31. Claude Geffré a écrit que « le défi du pluralisme religieux nous invite à revenir au cœur du paradoxe chrétien comme religion de l’incarnation et comme religion de la kénose de Dieu » . C’est pour cette raison qu’il peut parler du christianisme comme d’une « religion de l’altérité ». Il y a quelque chose d’aventureux dans un voyage théologique aux frontières, qui nous provoque, nous incite à devenir d’authentiques dominicains, à « nous remettre en route » pour répondre aux nouvelles réalités, où qu’elles soient, sur la frontière, à être « utiles » à ces autres qui définissent notre mission et déterminent où nous devons aller.
Au début de la Bible, il est écrit que « quiconque avait à consulter le Seigneur sortait vers la Tente du Rendez-vous qui se trouvait hors du camp » (Ex 33, 7). « Hors du camp », parmi ces « autres » relégués quelque part à l’extérieur : c’est là que nous rencontrons Dieu. L’itinérance requiert que nous quittions l’institution, sortant des perceptions et des croyances conditionnées par la culture, car c’est « hors du camp » que nous rencontrons un Dieu qui échappe à tout contrôle. « Hors du camp » nous rencontrons l’Autre, différent, et nous découvrons qui nous sommes et ce que nous avons à faire.
En février 2001, des dominicains et dominicaines vivant presque tous en Asie se sont réunis à Bangkok, « hors du camp », pour partager leur expérience de l’écoute et de l’apprentissage. « Nous avons réalisé, ont-ils déclaré, que le dialogue avec les personnes d’autres traditions religieuses est le principal défi de ce début de millénaire pour notre prédication dominicaine. Ici, en Asie, lieu privilégié pour la rencontre avec des cultures différentes, des religions différentes, des peuples différents, nous sommes provoqués à la conversion : à une nouvelle manière d’écouter, de regarder, de toucher, d’apprendre et de comprendre. »
« Le dialogue ouvre une porte sur un monde inconnu, dont nous ignorons encore les contours exacts -mais ce voyage nous conduira chez nous car nous croyons que là est notre place. »
« Ce qui a suscité la naissance de l’Ordre, c’est l’attention que Dominique accordait aux besoins des gens dans le monde en mutation du XIIIème siècle. Comme Dominique -et comme les moines bouddhistes et les sannyasis hindous-, nous sommes appelés à nous remettre en route, à revendiquer notre héritage mendiant, à réaliser que nous sommes tous des mendiants devant la vérité qui n’attend que de nous surprendre. »
« Nous prions de savoir nous en remettre à cet Esprit qui trace pour nous la carte du voyage, car, en tant qu’Église et en tant qu’Ordre, nous faisons don de nous-mêmes à l’Esprit. C’est l’Esprit, présent dans chaque culture et dans chaque religion -longtemps avant l’arrivée du christianisme- qui rend le dialogue à la fois possible et nécessaire. »
« Nous prions d’avoir la confiance de notre Père Dominique qui, quoiqu’il ne pût prévoir les résultats, savait qu’il accomplissait la volonté de Dieu ».
Il est profondément significatif pour nous, dominicains, chargés d’une mission universelle de prédication, de nous souvenir que Jésus a commencé sa mission dans la « Galilée des Nations », district des étrangers, dont la population se composait pour moitié de Gentils, dont le culte était pour moitié païen, territoire peuplé de gens que les institutions de Jérusalem considéraient suspects : « De Nazareth peut-il sortir quelque chose de bon ? » (Jn 1, 46). Et pourtant, après la Résurrection, Jésus dit à ses disciples : « Je vous précéderai en Galilée » (Mt 26, 32). Et son message aux femmes est encore plus étonnant : « Allez annoncer à mes frères qu’ils doivent partir pour la Galilée, et là ils me verront » (Mt 28, 10).
C’est hors du camp, en tous les Galiléens qui nous entourent, que nous découvrons ce qu’est la mission : être en mission c’est vivre hors du camp. Et découvrir, avec les autres, ce qu’est vraiment Dieu. Mais cette connaissance a un prix. On retrouve à la fin de la Bible l’image de la sortie du camp, ou de la sortie de la tente à la rencontre de Dieu, dans l’Épître aux Hébreux : « Jésus lui aussi, pour sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert hors de la porte. Par conséquent, pour aller à lui sortons en dehors du camp, en portant son opprobre » (13, 12-13). Nous sommes bénis par l’exemple des martyrs dominicains en Algérie, au Pakistan et ailleurs, qui se sont placés sur « les lignes de fractures », « hors du camp ». Ils ont « porté son opprobre » ; ils nous « sanctifient » par leur sang. Comme eux, nous sommes appelés à « aller à lui hors du camp », et endurer ce que Jésus a enduré.
Même ses proches pensaient de Jésus qu’il avait « perdu le sens » (Mc 3, 21), tant son comportement était loin de la norme, excentrique. Pour adopter la vita apostolica au monde d’aujourd’hui, nous, dominicains, devons sans doute être un peu plus loin des normes, un peu plus excentriques, un peu moins équilibrés et conventionnels. Que faisons-nous aujourd’hui qui pourrait faire croire aux autres que nous avons « perdu le sens » ? Le rapport de la commission de Missione Ordinis au Chapitre général de Bologne demandait : « Si nous vivons ce que nous prêchons, si notre vie est en vérité un service de l’Évangile qui nous pousse sur les routes au delà des frontières, alors quelque brin de folie évangélique, joyeusement, nous habitera » .
V - LA PROFESSION DOMINICAINE, PROFESSIO IN MANIBUS
32. Un bref rappel historique, les sources bibliques pour reconnaître notre vocation, des échos de nos racines contemplatives, l’étude et la formation comme chemin à parcourir, l’appel à la mission à la rencontre de ceux qui ont faim et soif de l’Évangile, même quand ils l’ignorent... Il ne pouvait manquer une référence canonique dans cette réflexion, poursuivie en commun et devenue « lettre à l’Ordre » !
Dans l’insécurité qui nous entoure, tout le monde semble gagné par le désir de connaître « ce qui va arriver », « ce qui nous attend », « dans quelle direction et combien de temps nous devrons avancer pour atteindre un objectif », « quelles étapes il faut prévoir pour obtenir un résultat », « combien de marches il reste à gravir avant la pleine réalisation ». Rien de tout cela n’est étranger à notre vie dominicaine : nous souhaitons et nous exigeons que les autres soient clairs, fiables, stables (surtout les supérieurs !).
33. Cependant nous sommes appelés à être prêcheurs, à être prophètes. Être prophète ne signifie pas connaître ou deviner l’avenir, le voir clairement, offrir des garanties. Dieu appelle les prophètes à lire l’histoire à la lumière de sa Parole ; à lire la Parole en prenant le pouls des événements. Les prophètes ne sont pas appelés à lire l’avenir dans les lignes de la main comme des experts chiromanciens.
Les mains, c’est vrai, projettent ce qu’on a dans le cœur. Chaque geste de nos mains manifeste ce qui se trouve en nous. (Nul besoin d’être italien ou argentin pour s’en rendre compte !) La douceur d’une caresse, la dureté d’un geste agressif, la vie dans les mains du semeur, la mort dans celles de l’assassin...
34. Au début de notre vie dominicaine, après le temps de noviciat, nous avons tous fait un geste -un geste très éloquent : nous avons mis nos mains dans les mains de la personne qui recevait notre profession.
Un article d’Antoninus M. Thomas OP, lu à l’époque de mes études de droit canon, m’inspire encore aujourd’hui à ce sujet. Le grand historien du droit de l’Ordre nous enseigne que les dominicains ont tiré ce geste, essentiel dans le rituel de la profession, de celui qu’utilisaient alors les « convers » cisterciens.
Les frères convers de Cîteaux faisaient leur profession dans la salle capitulaire entre les mains de l’abbé, alors que les autres moines faisait profession dans l’église abbatiale par un document écrit, déposé sur l’autel, en signe d’offrande et de stabilité monastique (du temps de saint Dominique, tel était aussi le rituel des chanoines réguliers, dont les Prémontrés) : les moines et les chanoines réguliers, en effet, étaient spécialement liés à leur monastère et à l’église du monastère.
Les frères dominicains faisaient leur profession -comme les convers cisterciens- dans la salle capitulaire, par l’offrande de leurs mains. Si l’oblatio super altare symbolise pour les moines et les chanoines leur lien à l’abbaye et à l’église canoniale, la professio in manibus comme élément central de la profession dominicaine ouvre pour les prêcheurs les chemins de l’apostolat.
35. Nous avons tous fait profession par l’offrande de nos mains et, en même temps, par l’offrande des mains de qui, soutenant les nôtres, recevait notre profession. C’est un échange mutuel de volontés. Les mains ouvertes à la grâce de Dieu, ouvertes à la miséricorde des frères et des sœurs avec qui nous engageons notre avenir sans même les connaître !
C’est un véritable signe de confiance mutuelle. Notre avenir aux mains de nos frères, de nos sœurs. L’avenir de nos frères, de nos sœurs, dans nos mains. Voilà toute la stabilité dominicaine : elle ne tient qu’à la stabilité de notre profession d’obéissance !
Dans notre profession, nous n’avons pas lié l’engagement de notre vie et de notre avenir à une abbaye ou une église canoniale donnée. Et pourtant, on croirait bien parfois que nous avons fait profession de demeurer dans tel couvent ou telle maison ; de nous tenir à certains postes ou fonctions, ou au contraire de n’assumer aucune responsabilité ; de ne pas quitter la ville ou le pays d’où nous venons, où nous sommes né ; de rester là où nous nous « sentons » bien, en bonne compagnie, entouré d’amis...
36. Je n’oublie pas que l’itinérance dominicaine prend des contenus et des caractéristiques différentes selon les branches de l’Ordre (je pense surtout aux moniales contemplatives et aux laïcs). C’est pourquoi nous n’avons pas voulu limiter le sens de l’itinérance à des valises qu’on prépare pour un départ. Encore que, tout bien considéré, on se réjouit de constater que les moniales contemplatives et les laïcs nous enseignent eux aussi l’itinérance dominicaine.
Beaucoup de moniales, avec grande générosité, ont souhaité « partir » créer de nouvelles fondations ; d’autres l’ont fait pour aider des monastères dans le besoin. Certaines communautés contemplatives, reconnaissant la pauvreté de leurs moyens, le petit nombre de sœurs, le manque de vocations, ont décidé de s’unir à un autre monastère pour vivre la vocation à laquelle le Seigneur les a appelées « pour habiter ensemble dans l’unanimité, ne faisant qu’un cœur et qu’une âme », loin du monastère précis où elles étaient d’abord entrées.
Et nombreux sont les laïcs qui s’offrent comme volontaires pour aller annoncer l’évangile dans des pays lointains, collaborant à la mission apostolique de communautés dominicaines.
37. Malheureusement, confrontés à une assignation ou à un changement de fonction ou de responsabilité communautaire, nous réfutons les motifs de ceux qui nous invitent à « partir », car nous en limitons la compréhension à deux catégories réductrices : soit la promotion, en quête d’un cursus honorum imaginé ou mérité, soit la punition. Cela correspond peut-être à d’autres mondes, auxquels justement nous avons renoncé, comme celui de l’entreprise, de la compétitivité, de la carrière politique ou académique. Mais dans la vie dominicaine, cette attitude détruit la confiance, rompt la docilité, blesse l’itinérance, ruine d’infinies possibilités.
En maintes occasions, devant un changement, une assignation, un poste ou une responsabilité à assumer ou à quitter, etc., des phrases du type : « en conscience, je ne peux pas accepter » nous viennent immédiatement à l’esprit, comme par réflexe. Nous oublions bien aisément la fameuse distinction entre « conscience psychologique » et « conscience morale » ! Nous confondons nos émotions, nos sentiments, la conscience de nous-mêmes avec le jugement de la raison pratique, que notre profession dans les mains a élevé de manière surnaturelle au niveau d’un acte de foi en Dieu et en nos frères et sœurs.
38. C’est à partir de ce geste si ancien et si éloquent de notre profession dominicaine que nous avons commencé à expérimenter dans notre vie le mystère de la Pâque de Jésus, l’ars moriendi et nascendi, mourir pour vivre. C’est pour cela que nous avons remis notre vie et notre avenir entre les mains des autres.
Dans la basilique de Sainte-Sabine, notre église conventuelle à Rome, un monument funéraire porte une inscription évocatrice, qui veut synthétiser la vie du personnage :
UT MORIENS VIVERET - VIXIT UT MORITURUS (pour vivre après la mort - il vécut en homme destiné à mourir)
Jésus a dit : Si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul ; mais, s’il meurt, il porte beaucoup de fruit (Jn 12,24).
Après la Résurrection, quand Thomas voulut « voir pour croire », usant de ses mains et de ses doigts pour « mesurer ou vérifier » ce que ses frères lui avaient annoncé, Jésus en personne l’invita : « voici mes mains »... Après la Résurrection, les mains blessées de Jésus continuent d’être le signe d’un avenir plein d’espérance et de vie.
VI - EN MANIERE DE CONCLUSION
39. Le matin du 21 mai 1992, le fr. Damian Byrne me demanda de l’accompagner au Palazzo San Calisto dans le quartier du Trastevere à Rome. Quelques jours avant de quitter Sainte-Sabine pour le Chapitre général de Mexico, ce grand missionnaire dominicain, pauvre et itinérant, souhaitait saluer le Cardinal Eduardo Pironio. Comme nous marchions vers le lieu du rendez-vous, le fr. Damian me fit ce commentaire : « je n’ai jamais rien entendu de plus beau sur saint Dominique et sur l’Ordre que ce qu’a dit le Cardinal au Chapitre général de 1983 ».
J’ai toujours été curieux de connaître ces paroles si dominicaines adressées au Chapitre de Rome. Dans les archives générales, il n’y avait pas de document écrit, mais la cassette de l’enregistrement. J’avoue avoir éprouvé une grande émotion à réentendre leurs voix à tous deux, le fr. Damian Byrne et le Cardinal Pironio !
Mendiants, nous empruntons aussi les idées, comme le messager qui reçoit le témoin des mains d’un autre et court immédiatement le remettre au suivant. Timidement, je paraphrase ceux qui nous ont précédés sur le chemin de la foi, pour l’annoncer aux autres.
40. Lorsque le Seigneur confie une mission, invariablement, il répète ces trois phrases :
« Voici, je t’envoie... ». L’envoi, la mission vient assurément de Dieu. Cette volonté s’exprime à travers la volonté des frères ou des sœurs, mais la mission vient de Dieu : « Voici, je t’envoie... ». Cela nous donne beaucoup de courage en même temps qu’une grande sérénité.
« Ne crains point... ». C’est très important chez un prêcheur. À la condition qu’il soit vraiment pauvre ; car ainsi nous nous sentons peu sûrs de nous, mais confiants en Dieu et dans nos frères et sœurs. C’est de la pauvreté que le prêcheur tire une force spéciale qui le rend justement un prophète d’espérance. Le prêcheur est quelqu’un qui, parce qu’il est pauvre et s’appuie exclusivement sur Dieu, ne craint pas et ne permet pas que les autres craignent : car nous sommes témoins de la Résurrection !
« Je suis avec toi... ». Toujours, le Seigneur nous accompagne, « je suis avec toi, je ferai route avec toi ». Il nous encourage et nous incite à nous engager profondément dans la mission qu’il nous a confiée comme prêcheurs de l’évangile en ce moment providentiel de l’Église et de l’histoire.
Le monde attend particulièrement une communication du Verbe de Dieu, de la Parole de Dieu. Parlant de saint Dominique, sainte Catherine disait que « Son office fut celui du Verbe » . Chaque dominicain, chaque dominicaine est appelé/e par profession à cette mission. Aussi devra-t-il/elle se laisser posséder entièrement par la parole de Dieu afin de communiquer cette parole faite chair, faite histoire, faite geste. Nous sommes appelés à communiquer la Bonne Nouvelle à toutes les nations en unissant la vérité à l’amour, en étant fidèles à la vérité et à l’amour. À la vérité, parce qu’elle est spécifique des dominicains ; à l’amour, parce que nous aimons cette vérité comme on aime une personne. Sur cet amour se fonde notre vie dominicaine qui boit aux sources de la Règle de saint Augustin. Saint Dominique de Guzmán s’en inspira car il souhaitait envoyer, au-delà des frontières connues, des apôtres contemplatifs, comme Jésus envoya les Apôtres, suivant par conséquent une ligne fortement évangélique.
41. Jésus envoya Pierre naviguer en eau profonde et jeter ses filets. En bon connaisseur des mers, des barques, des filets et de la pêche, Simon lui répondit qu’il avait peiné toute la nuit sans rien prendre. Mais, soutenu par la parole de Jésus, il jeta les filets et la pêche fut bonne ! (cf. Lc 5, 4-6).
Je fais simplement écho à l’Évangile de Jésus Christ et à l’invitation que le pape Jean Paul II nous lançait en concluant le Jubilé de l’an 2000 :
« DUC IN ALTUM ! Allons de l’avant dans l’espérance ! (...) Au début de ce nouveau siècle, notre marche doit être plus alerte en parcourant à nouveau les routes du monde. »
Le 15 août 1217, « Pentecôte dominicaine », invoquant l’Esprit-Saint devant les frères réunis, Dominique annonça qu’il avait pris dans son cœur la décision de les envoyer tous à travers le monde, en dépit de leur petit nombre. Quelques uns objectèrent, mais il répondit sans hésiter : « Ne vous opposez pas, je sais bien ce que je fais ». Il dissipa ainsi toutes leurs craintes. Réconfortés par sa parole, les frères « acquiescèrent avec assez de facilité, pleins d’espoir quant à l’heureuse issue de cette décision » .
Je vous disais que ces pages -trop longues, peut-être ?- sont le fruit d’une réflexion communautaire. Je vous invite tous à les méditer, individuellement et en communauté ( !), et à prier avec moi :
« Dieu d’amour et de fidélité, qui nous as envoyé ta Parole pour qu’elle soit notre chemin, donne-nous qu’en suivant ce chemin sur les pas de saint Dominique, ‘nous marchions dans la joie et pensions à notre Sauveur’. Amen » .
Sainte-Sabine, le 24 mai 2003, Mémoire de la Translation de notre Père saint Dominique,
fr. Carlos A. Azpiroz Costa OP Maître de l’Ordre