Le Centre de Rétention Administrative de Cornebarrieu
Photos prises le 30 décembre 2007.
Ci-dessous, un article du Nouvel Observateur - janvier 2009
Au centre de rétention de Toulouse,
la vie entre parenthèses
Article du Nouvel Observateur - Nº2305 Semaine du jeudi 8 Janvier 2009
Le ministère de l'Immigration autorise rarement les reportages dans les centres où sont «retenus» les étrangers en situation irrégulière. Visite à CornebarrieuPas de fléchage, pas de panneau de signalisation, pas de pancarte à l'entrée. Le centre de rétention administratif de Toulouse-Cornebarrieu semble perdu au milieu de nulle part. Situé au bout des pistes de l'aéroport de Blagnac, ce bâtiment accueille des sans- papiers frappés d'une procédure d'éloignement ou d'une interdiction du territoire, mais qui ne peuvent être expulsés immédiatement. Depuis peu, une navette de bus s'arrête à proximité. Une station pour les visiteurs. Le terminus pour certains «retenus». Ceux-là sont expulsés vers leur pays d'origine : Tunisie, Maroc, Brésil, Sénégal, Russie, etc. Le jour de notre visite, un petit groupe fêtait la libération d'un compagnon de couloir. «Je viendrais vous revoir en ami», a glissé l'homme au chef du centre. Plus loin, un autre maugréait : «Ils m'ont interpellé sur un chantier, je suis en France depuis des années, j'ai un travail...» Une phrase à la volée. Circulez. Ce ne sont pas des conditions de rétention dont ils avaient envie de parler, mais de leur vie. Le ministère ne nous a pas donné l'autorisation de discuter avec eux. Nous avons pu tout voir, pas tout savoir. Alors nous nous sommes renseignés auprès de leurs proches. Parmi les prisonniers, M. A., un homme se disant kosovar, retenu pour la troisième fois. En France depuis neuf ans, il a présenté des promesses d'embauche à la préfecture, qui lui refuse un titre de séjour. Le retour serait un cauchemar, toute sa vie est ici. M. B., un ancien salarié du Haut-Commissariat aux Réfugiés, installé depuis cinq ans en France, où vivent tous ses frères et soeurs. M. C, un ancien joaillier sertisseur. Sa famille ne le visite pas. Sa femme et ses deux enfants se cachent pour ne pas finir ici. Se déclarant opposant politique en Arménie, où il a dénoncé des fraudes électorales, il a été libéré le jour de notre visite, après trente et un jours. Il attend une réponse à sa demande d'asile. M. E., un Libérien, pour la troisième fois en rétention. Jamais reconnu par son consulat, ce peintre en bâtiment aime rait poursuivre son ex-employeur aux prud'hommes. Lorsqu'il a été arrêté, celui-ci lui devait 2 000 euros. Mme F, une Camerounaise séparée d'un Français rencontré sur internet et qui l'avait obligée à se prostituer, etc. Parmi les retenus, on trouve également des hommes en France depuis peu. Ils n'y ont pas de proches. Certains ont déchiré leurs papiers, mentent sur leur identité pour obtenir l'asile. Ils espèrent vivre mieux ici. En cas d'expulsion, certains retrouveront leur famille dans un pays plus pauvre, mais où ils ont un espoir de refaire leur vie. D'autres perdront tout, ou presque. Dans les cours de promenade, ils peuvent voir passer les avions qui les conduiront peut-être loin de France. En attendant, ils sont en sursis.
En 2007, 2 155 personnes de plus de 100 nationalités ont fait un séjour à Cornebarrieu, d'après les chiffres de la Cimade, l'association d'aide aux sans- papiers autorisée dans les lieux. Placées par 55 préfectures différentes, 86% faisaient l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière. 866 ont finalement été expulsées, soit 40% «seulement». «C'est la preuve que le système offre des garanties, dit un responsable de la police. Si des gens ressortent, c'est que le travail de police a peut-être été mal fait. Les avocats et les associations ont les moyens de rectifier ça. C'est rassurant.» Pour les défenseurs des sans-papiers, ce chiffre prouve surtout que le nombre d'arrestations est disproportionné. Elles dénoncent une politique du chiffre conduisant à l'excès de zèle. Trop de personnes seraient retenues sur la base de dossiers mal ficelés. Sur les 2 155 retenus, de 2007, 298 femmes. Cornebarrieu, 126 places, peut accueillir des familles, ce qui n'est pas le cas partout. On y trouve des enfants, y compris des bébés. Les familles disposent d'un espace à part, avec la possibilité d'être réunies dans un «appartement» : deux «chambres cellules» décloisonnées. Il y a tout le nécessaire pour pouponner. Mais voir des enfants dans un bâtiment entouré de barbelés avec des cours extérieures coiffées de filets antiévasion ne réjouit évidemment personne. «Ca ne peut pas nous laisser indifférents, certains d'entre nous sont aussi des parents, dit un policier, mais on se dit qu'ici ils peuvent avoir un accès aux soins alors qu'ils n'avaient jamais vu un médecin de leur vie.» Malgré les efforts faits pour humaniser l'endroit, la présence de familles, en particulier d'enfants, reste un sujet ultrasensible. Avant d'autoriser le reportage, le ministère de l'Immigration nous a interdit de photographier des femmes avec des enfants, la seule restriction en matière d'images. Ce sont les clichés que le ministère ne veut pas montrer. L'opinion y est sensible. C'est en mobilisant les parents d'élèves que les associations de défense des sans-papiers ont ému bien au-delà des cercles militants.
Lors de notre visite, mi-décembre, le taux d'occupation était particulièrement bas à Toulouse : environ un tiers des 126 places. Seulement 4 femmes, pas d'enfant mais l'arrivée d'une famille «avec un bébé» indiqué sur le tableau prévisionnel. A l'intérieur du bâtiment, les «résidents» trompaient l'ennui en jouant au ping-pong ou en regardant la télé. Ceux qui en ont les moyens peuvent utiliser leur téléphone portable. Ils sont autorisés dans l'enceinte, à l'exception des modèles faisant appareil photo. Les autres doivent utiliser les cabines. S'ils arrivent avec moins de 7,50 euros en poche, on leur donne une carte prépayée pour appeler un avocat et leurs proches. En métropole, la grande majorité des centres de rétention ne ressemble pas à ces prisons délabrées qui font honte à la République. Les personnes enfermées ne sont ni des prévenus ni des condamnés. Et la détention est limitée à 32 jours. Les CRA ne sont pas surpeuplés, contrairement aux maisons d'arrêt. Les chambres n'excèdent pas 2 places (sauf pour les familles), n'ont pas de barreaux (à l'exception de celles donnant directement sur l'extérieur) et ne sont pas fermées à clé. Le centre de Toulouse, créé le 26 juin 2006, est assez exemplaire : son responsable, le commandant Billard, s'y emploie. Il veille au respect de l'hygiène, suggère des améliorations des locaux, tient compte des remarques des organismes chargés de le visiter... Ce quadra a aussi rédigé avec un de ses adjoints un mémento pour le personnel. Document précieux, car les policiers ne sont quasiment pas formés à cette surveillance particulière. «La principale difficulté est de leur faire comprendre qu'ils ne sont plus dans la rue pour interpeller des voyous, dit un responsable de la police. Certains n'avaient pas vraiment envie de venir travailler ici. Beaucoup ne souhaitent plus en repartir car ils trouvent dans ce métier une dimension humaine.» Car les CRA sont des lieux à part. Des endroits où la vie des individus est mise entre parenthèses. Où le temps est suspendu. Le passé est rayé, le futur incertain. Le présent ? Il est flou. Beaucoup de retenus n'ont pas de nationalité officielle. Certains ont de faux noms. Ils sont là parce qu'ils ont été interpellés sans papiers ou avec de faux documents. Leur identité est parfois un mystère complet. Quelques-uns ne parlent pas un mot de français. Un pied en France, un pied dehors, les retenus sont au milieu d'une passerelle, à deux pas d'un sas d'embarquement. Leur sort est entre les mains des juges des libertés et de la détention (JLD). Certains sortiront libres après quelques jours, pour d'autres, le centre n'aura été que la première salle d'attente de l'aéroport voisin. La durée de rétention doit permettre de déterminer les pays dont ils sont ressortissants.
Certains retenus ont pour nationalité déclarée des destinations vers lesquelles la France ne peut expulser, comme l'Iran. D'autres sont suspectés d'être originaires d'un pays. Ces derniers doivent les reconnaître afin qu'ils puissent y être reconduits. Pour cela, les ambassades sont sollicitées. Si elles ne répondent pas dans les délais, le retenu est libéré. Certains reviennent plusieurs fois, ce sont les «habitués». Leurs dossiers passent d'ambassade en ambassade. L'un d'eux a même fait six séjours à Cornebarrieu. On dit retenu et non détenu, le ministère tient à la nuance. Mais un centre de rétention est pourtant une prison qui ne dit pas son nom. L'endroit est hautement surveillé : des dizaines de caméras scrutent tout le bâtiment, à l'exception des espaces intimes comme les toilettes et certaines salles de visite. Le centre de surveillance, avec ses multiples écrans, ferait pâlir d'envie Jack Bauer et sa CTU, la cellule antiterroriste de la série «24 Heures». On arrive au CRA en fourgon, escorté par la police. La rétention est encadrée : on mange à des heures précises, on peut regarder la télé dans une salle commune jusqu'à l'heure du «couvre-feu». «Les retenus ne font pas la différence avec la prison car ils sont enfermés, dit David Rohi, de la Cimade. Certains, passés par la prison, trouvent même plus difficile la rétention, car il y a moins d'activités, pas de télévision dans les chambres. Il n'y a rien à dire sur l'encadrement, c'est la notion même de rétention qui pose problème. Ces gens sont privés de liberté et c'est un choc terrible.» Un centre de rétention n'est pas une zone de non- droit, c'est une zone de néant. Un no man's land où l'on perd plus que sa liberté : son identité.
En chiffres
Surveillés par la police ou la gendarmerie, il y a 23 centres
de rétention administrative (CRA) en métropole, qui ont accueilli
près de 35 000 immigrés en instance d'expulsion en 2007. Parmi
eux : 3 500 femmes et 250 enfants, dont 74 avaient moins de 2 ans. Paradoxe,
ces enfants peuvent être détenus mais pas expulsés. Les
nationalités les plus représentées sont les Algériens
(4 297), les Marocains (3 742), les Turcs (2618), les Tunisiens (2 406) et les
Chinois (1 946). 13 500 retenus ont été «présentés»,
c'est-à-dire expulsés, ce qui représente un taux de reconduite
de 39% et la moitié des personnes expulsées de France chaque année
(26 000 en 2008). Source : Cimade.
Stéphane
Arteta
Le Nouvel Observateur